Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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Fin d’année en terre zapatiste

publiée le 25/01/2012 par CSIA-Nitassinan

Se retrouver au Chiapas, c’est comme un rêve qui devient réalité. Prendre
en plein cœur des couleurs, des paysages qui n’existaient que dans nos
nuits d’insomnie. Partir dans un bus brinquebalant pour Oventik, "Caracol
de la Junta de Buen Gobierno", le conseil des zapatistes. Petit matin
blême qui hésite entre brume et pluie. Le froid est mordant. Les montagnes
ne sont que des silhouettes qui défilent. Au détour d’un virage, le
caracol. Un simple panneau "Para todos todo. Nada para nosotros. Municipio
Autónomo Rebelde Zapatista". Zapata sur les "murales". Tout en armes et en
sourire. Des femmes avec un fusil fleuri par une rose. De l’autre côté du
portail, un garde avec un passe-montagne. Comme un film. Déjà vu et revu
et pourtant, il suffit de traverser la route. Pour se retrouver de
plain-pied dans la réalité. Il est 9 heures. La journée commence à
peine...

Se présenter. Attendre. Deux jeunes masqués arrivent pour nous poser des
questions selon une fiche bien précise. C’est assez laborieux. Ils nous
font répéter. Ils ont du mal à suivre les questions de la fiche. On sent
bien que c’est une des premières fois qu’ils assument ce rôle. Ici, tout
le monde passe par tous les rôles ; l’apprentissage de la démocratie
horizontale. Un jour, on est à la barrière. Un autre au conseil interne.
Pour nous, c’est l’apprentissage de l’attente. Le temps se fait élastique.
Le froid se fait de plus en plus présent. Au bout d’un certain temps, on
accède à la junta... enfin devant la porte. On s’assoit sur un banc.
L’attente. À nouveau. "Un rato" ; un moment. Puis "un ratito" ; un petit
moment. On sent bien que ça va être beaucoup plus long que prévu… Des
femmes en châle bleu traversent le brouillard. Comme une tache de couleur
pour dissiper le gris. Ma patience joue avec mes nerfs. Une heure passe.
Puis deux. Vers midi, on est enfin reçus par la junta. On entre en plein
décorum. Trois hommes en passe-montagne EZLN, trois femmes le paliacate
sur le nez. Partout des affiches. Des photos. Des murs tout en cris et en
résistance. On se présente. On expose notre demande de partir vivre dans
une communauté de café pour un mois. Ils prennent des notes. Comme des
élèves consciencieux. Le silence est dense. Nos réponses brèves. Ils nous
demandent de sortir. Pour attendre. Notre banc est toujours là... On se
pose. On se tait. Je digère tout ce que j’ai vu. C’est quand même assez
fort pour moi. Même si l’attente est longue. Même si je ne saisis pas
tout. Je sens bien confusément l’importance de la rencontre dans mes
futurs souvenirs. On nous reçoit assez vite... ou alors on s’habitue… Ils
nous proposent de partir pour une semaine seulement. Du 13 au 20 décembre.
Pas un jour de plus… Ils ne nous donnent pas vraiment d’explication. On
est assez vite congédié. On se sait trop quoi penser. On oscille entre
enthousiasme et frustration... Tout le monde nous avait dit qu’il était
assez difficile d’avoir une autorisation. Et finalement on l’a... J’ai
quand même l’impression d’avoir vu un "sovietburo"… enfin je sais pas…
c’est juste un peu trop formel à mon goût… en fait je crois que c’est leur
façon d’être, tellement différente de la notre.... Il est plus de 14
heures. Après plus de quatre heures d’attente, on reprend un bus. On est
épuisé… Tant nerveusement que physiquement…

Le 13 décembre au matin, on repart à Oventik. Le soleil nous accompagne.
On découvre enfin le caracol sous un jour plus lumineux. Toujours la même
procédure à l’entrée. Toujours la même attente. Vicente de la coopérative
de café Yatchil nous attend à l’intérieur.

On est reçu par la junta. Toujours le même décorum. Le ton change.
Derrière les masques, les yeux sourient... Ils prennent le temps de nous
expliquer. Un mois pour eux cela représente beaucoup de charge. Ils
parlent de solidarité, de résistance. Ils nous remercient de participer à
leur lutte. Les regards parlent plus que les mots... Le moment est
émouvant. Beaucoup moins formel. On comprend aussi que l’on doit seulement
s’intéresser au processus de récolte de café "y basta"... Je crois que
cela va être compliqué de parler d’autre chose, de leur lien avec l’EZLN
par exemple... On repart sur San Cristóbal avec Vicente pour finalement
partir vers notre communauté San Pedro de Polhó. Plus de deux heures de
route. Et nous qui pensions partir directement depuis Oventik. Je crois
qu’il va falloir qu’on lâche notre façon de penser basée sur la rapidité
et l’efficacité... Ici, le temps et l’agir sont clairement différents. On
arrive en fin d’après-midi avec Miguel, le président de Yatchil. On est
parti depuis 9 heures le matin....

À l’entrée, une petite église bleue ornée de fleurs et de femmes en armes.
On est bien en terre zapatiste. On nous amène à la bodega, où ils
entreposent les sacs de café. Elle est un peu isolée du village. Comme ça,
on ne sera pas tenté d’aller flâner... En plus, on est près du camp
militaire... Heureusement, il semble bien calme... On nous montre
l’endroit où dormir... Juste des bancs et des couvertures. La nuit
s’installe doucement. Les étoiles illuminent le ciel. Petit moment de
bonheur.

Ici, ni les hommes ni les femmes ne sont cagoulés. Les signes zapatistes
sont discrets et pas vraiment affichés. Les zapatistes sont clairement
minoritaires. Le gouvernement a bien fait son travail de sape. Pour
exemple, les non-zapatistes ont droit à avoir des toilettes en dur
construite spécialement par des programmes gouvernementaux. Les zapatistes
eux refusent tout compromis, toute aide dite de "développement". Ils
continuent de vivre avec des toilettes faites de planches et d’un trou.
Leur dignité est ailleurs, leur lutte est beaucoup plus importante que
leur confort. Pourtant, ces programmes sont comme un talon d’Achille pour
des familles pauvres qui survivent au fin fond de ces montagnes
mexicaines. Un outil de division... Pour briser un mouvement qui prône
l’autogestion, le partage du pouvoir, la solidarité. Tout le contraire des
gouvernements en place...

La première journée, on part avec Javier, caféiculteur qui nous fait
visiter son champ au pas de course Il faut descendre et monter presque en
courant. Je suis épuisée dès la première heure... Javier a rendez-vous
avec les autorités zapatistes et on comprend vite qu’on ne sera pas
conviés. Vers midi, on nous ramène à la bodega. Jorge, notre guide, reste
avec nous. Nous, on le prend plutôt comme une escorte. On sent bien qu’on
ne peut pas aller seuls dans le village. Pour discuter avec les gens,
Jorge est vraiment sympa mais il ne nous parle que du café et seulement du
café évidemment... Notre reportage sur la vie quotidienne des communautés
zapatistes de caféiculteurs prend du plomb dans l’aile. On se sent un peu
"prisonnier"... On vient nous chercher pour manger et on nous ramène. Mais
même si l’on ne peut pas vraiment poser les questions qui nous
intéressent, on rentre à l’intérieur des maisons. On voit vivre les femmes
et rien que pour ça, c’est vraiment bien.

Le lendemain, debout à 6 heures du matin. Le soleil n’est pas encore levé.
Tout est en clair obscur. Des femmes, des hommes, des enfants patientent
pour prendre le camion. Comme des ombres dans le jour qui se dessine. On
arrive aux plantations de café. Tout le monde descend. En courant, en
riant. L’ambiance est bon enfant. On descend jusqu’à la rivière.

On me donne un panier pour récolter les grains de café. Patxi quant à lui
prend des photos... Je suis un peu l’objet de toutes les curiosités. Les
femmes se mettent juste derrière moi. Elles tournent pour venir me
regarder. Elles chuchotent. Elles rient. Je sens bien que toutes les
conversations sont autour de moi mais vu qu’elles parlent en tsotsil, je
ne comprends rien. Et moi qui voulais faire des progrès en espagnol...
Vers 9 heures, on déjeune à même le sol : tortilla, frijol (haricot rouge)
et café ou pozol (boisson à base de maïs). Le repas typique de notre
semaine... Je sens que je vais vite saturer de la tortilla, je sens... Vu
que j’aime pas tellement le maïs... Andrés notre deuxième "guide" parle
espagnol. Ils nous expliquent le processus. Entre eux, Jorge et Andrés
parlent de nous... en tsotsil. C’est quand même un peu pesant de ne rien
comprendre.... Toute la semaine sera comme ça...

Le vrai intérêt est de voir plusieurs types de communauté. Isolées au
milieu de nulle part. Au sommet d’une montagne. Au fond d’une vallée. Le
cadre est grandiose. On est reçu en toute simplicité. Chaque famille nous
fait partager son repas. On parle peu. On se regarde juste. Une complicité
sans le recours à une langue. Juste des silences et des sourires. Juste de
petits moments d’humanité. L’expérience, même si elle ne correspondait pas
tout à fait à nos attentes, restera un beau moment de partage. Et puis
aussi, j’aurais appris à récolter le café...

Le 20 décembre, on revient à Oventik pour leur faire un "retour". Trois
rencontres pour une semaine de reportage. C’est un peu trop pour moi. Un
peu trop centralisateur... Surtout qu’il nous faut deux heures à chaque
fois mais bon c’est leur façon de faire et c’est à nous de l’accepter...
Je rentre épuisée avec une bonne "turista"... Il me faudra quatre jours
pour me remettre de la vie paysanne... je me sens fébrile, fatiguée... Je
suis encore un peu trop urbaine… Il va falloir que je me détache encore un
peu plus de mon monde, de ma façon d’être et de penser. Comme un
apprentissage de l’autre, du différent...

Le 22 décembre, on part à la commémoration d’Acteal, qui fut le lieu d’un
des épisodes les plus sanglants de l’histoire des zapatistes. Cette
communauté affichait son soutien mais elle refusait le processus armé. Ils
se voulaient pacifistes et donc ne se revendiquaient pas comme zapatistes.
Pourtant, le 22 décembre 1997, des paramilitaires ont tué quarante-cinq
personnes de la société civile Las Abejas. Des femmes et des enfants en
majorité qui n’avaient aucune arme. Certaines femmes étaient enceintes.
D’autres avaient un enfant à même le sein. Pourtant, le bras des assassins
n’a pas tremblé. Ils ont tiré. Ils ont tué. Massacré. Froidement.
Aveuglément. La commémoration est vraiment très émouvante et malgré ma
"turista", j’ai envie d’être là. Un moment de mémoire pour faire reculer
la barbarie et recréer de l’espoir, de la solidarité. Comme l’impression
d’être au bon endroit au bon moment. Comme une évidence...

¡Feliz año 2012 y suerte !
Hasta la vista
Vero y Patxi

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