Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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Message depuis la Sierra Wixarika

publiée le 11/02/2012 par CSIA-Nitassinan

Après plus de douze heures de voyage depuis Guadalajara, le chemin me
conduit à travers une brèche de terre rouge. Il est déjà midi et le soleil
semble à peine commencer à chauffer. Une famille en voyage suit le bord du
chemin. Les yeux se lèvent, tous sourient et lancent : "¡Kyaku !"

Ici les couleurs sont brillantes et naturelles. Je peux voir depuis le
chemin une rivière bleue - qui me regarde et m’invite à la boire -, mes
yeux commencent à rencontrer d’autres yeux et l’émotion de ce retour dans
la Sierra Wixarika m’envahit complètement. Je continue à marcher, je suis
à la recherche de la maison de mon ami Pascual, il est sûrement en train
de m’attendre. Je le vois là-bas se pencher et me faire signe - Tu arrives
enfin ! - Après avoir échangé des saluts et posé deux ou trois questions,
nous nous asseyons près du poêle pour prendre le café.

Mon cher Pascual commence par me raconter que cette année son père fera
son dernier voyage au centre sacré de Wirikuta (la femme qui passa par
ici). Depuis plus de quinze ans, il entreprend le voyage de Santa
Catarina, État de Jalisco, à Wirikuta, au bord du Cerro Quemado (Montagne
brûlée), à Real de Catorce, État de San Luis Potosí.

La culture wixarika ou huichol, ainsi que l’a désignée la culture métisse,
présente cinq lieux sacrés : un pour chaque point cardinal et un pour le
centre. Au nord se trouve Huaxa Manaka dans le Cerro Gordo (Grosse
Montagne), État de Durango. Au centre Teakata, à Santa Catarina, Jalisco.
À l’ouest Haramara, à San Blas, Nayarit. Au sud Xapawiyemeta dans l’île
des Scorpions du lac de Chapala, Jalisco, et à l’est, Wirikuta à Real de
Catorce, San Luis Potosí.

Les Wixaritari se rendent en pèlerinage à Wirikuta depuis plus de mille
cinq cents ans. Ils doivent se rendre dans chacun de ces lieux sacrés au
moins une fois dans leur vie. C’est à Wirikuta que se trouve l’origine de
la vie, car là s’est levé le soleil pour la première fois, c’est aussi là
que fleurit la plante sacrée, le Hikuri ou peyotl, plante médicinale qui
favorise la communication avec les divinités wixaritari.

Nous poursuivons notre conversation, chacun de nous mettant au courant
l’autre de ce qu’il est advenu. Combien je suis heureuse de voir avec quel
orgueil Pascual parle de ses traditions ; je suis fascinée par le profond
respect qui l’habite. Alors que la nuit tombe, je demande à Pascual de me
parler des événements récents survenus à Wirikuta. Il garde le silence un
moment et raconte :

Le 6 janvier 1992, année de la signature du traité de libre-échange
(accord de libre-échange nord-américain, Alena), l’article 27 de la
Constitution fut modifié. Il y est dit que la nation peut à tout moment
imposer la privatisation ou offrir des concessions, en fonction de
l’intérêt national, pour l’exploitation des ressources naturelles, qu’il
s’agisse de minéraux, de métaux ou de bois, entre autres. Il mentionne
aussi que lesdites concessions ne peuvent être accordées qu’à des
compagnies nationales.

En 2008, le président Felipe Calderón lors d’une visite au peuple
wixarika, revêtu de l’habit de cérémonie, signa l’accord de Hauxa Manaka
et prononça un discours par lequel il affirmait : "… par ce document les
gouverneurs traditionnels ici présents, les autorités civiles représentées
par les gouverneurs de plusieurs États, ainsi que le gouvernement fédéral,
s’engagent à protéger et à renforcer la continuité historique des lieux
sacrés et des routes de pèlerinage du peuple wixarika." (Rapporté le 18
décembre 2011 au cours du programme de Carmen Aristegui sur CNN en
espagnol.)

À la suite de cette rencontre, la communauté se sentit rassurée quant au
sort de ses centres sacrés déclarés par le gouvernement, onze ans
auparavant, Aires naturelles protégées et considérés par l’Unesco comme
faisant partie du Réseau mondial des lieux sacrés naturels.

En 2010, la communauté de Real de Catorce, située à trois kilomètres et
demi de Wirikuta, reçut la visite d’un groupe d’ingénieurs et de
travailleurs de la First Majestic Silver Corp, une compagnie minière
canadienne, appuyée par la Minera Real Bonanza ; ceux-ci les informèrent
que le gouvernement fédéral avait attribué 22 concessions à ladite
compagnie ; ainsi, 70 % (6 326 hectares) de la zone de Wirikuta devenait
territoire exploitable par l’entreprise et, par ailleurs, le début de
l’exploitation était prévu pour 2013.

Il est important de souligner que cette multinationale exploite
actuellement trois mines au Mexique et a trois projets en cours, dont
celui de Wirikuta. Pour chacun de ces projets, First Majestic a été
épaulée par diverses compagnies mexicaines. N’a-t-il pas été dit que la
Constitution prévoit que les concessions ne peuvent être attribuées qu’à
des entreprises nationales ?

La First Majestic Silver prévoit d’extraire une tonne de minerai par jour,
de laquelle on devrait extraire 10 à 12 kilos d’argent grâce au procédé de
flottaison. Ce procédé utilise de grandes quantités de cyanure et de
xanthate pour séparer l’argent des autres minerais. Il peut arriver que,
de nombreuses années après la fermeture de la mine, le cyanure continue à
contaminer l’eau souterraine de la zone. L’exposition prolongée à de
faibles niveaux de cyanure peut provoquer des difficultés respiratoires,
des douleurs coronaires, des vomissements, des altérations du sang, des
maux de tête et une hypertrophie des glandes thyroïdes.

Il faut également prendre en compte les sous-produits de la séparation des
minerais, par exemple le plomb et l’arsenic qui pourraient se répandre
dans l’atmosphère et dans les flux hydrauliques proches. En outre, la
First Real Majestic a indiqué que la mine exigeait trois millions de
litres d’eau par jour. Actuellement, le village de Real de Catorce tire
son eau du tunnel de la mine de San Agustín, laquelle contient la veine
d’argent dont l’exploitation est l’objet du projet de l’entreprise. Pour
la défense de ce dernier, First Real Majestic avance qu’une mine comme
celle qu’elle veut créer dans la zone aura un impact environnemental et
social minime puisque l’essentiel du travail s’effectuera au niveau de
couches souterraines. Pour le peuple wixarika, ce sont précisément les
métaux qui font de ce lieu un centre d’énergie. Il considère que les
minerais sont le cœur de son centre.

À la suite de la guerre des cartels et de la militarisation du pays voulue
par le gouvernement fédéral, le tourisme dans la zone de Real de Catorce a
baissé de 80 %. Les membres de la communauté se sont vus dans l’obligation
d’émigrer et d’abandonner leurs petits négoces. C’est pourquoi cette
communauté est aujourd’hui divisée entre ceux qui voient dans la mine une
possible opportunité de trouver un emploi et ceux qui la rejettent pour
conserver le lieu, les traditions et l’environnement. Divise et tu
vaincras ?

Ensuite, Pascual poursuivit en me disant que les peuples indigènes du
Mexique doivent se battre pour être respectés. Ces peuples indigènes sont
toujours rejetés, piétinés. Permettre la construction de la mine signifie
la destruction du peuple wixarika, une des rares cultures indigènes
survivantes.

Le feu s’éteignait peu à peu quand Pascual, faisant une courte prière pour
offrir un peu de bois à Tatewari, le grand-père feu, me dit : nous n’avons
pas perdu espoir. Et c’est pourquoi je te demande aujourd’hui de parcourir
ce lieu et d’exiger avec nous l’abandon du projet. Je te demande de
t’élever contre ce pillage qui a commencé il y a plus de cinq cents ans et
qui continue.

Il y a encore un espoir. Réveille-toi, Mexique ! Bonne nuit.

Irene Bonilla Elvira

Traduit par Silfax.

http://www.lavoiedujaguar.net/Message-depuis-la-Sierra-Wixarika


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