Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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LPDC - Demande de droit de réponse à l’article du journal Libération du mercredi 3 mars 2004, « Règlement de comptes à Wounded Knee » de Philippe Grangereau

publiée le 06/03/2004 par CSIA-Nitassinan

Leonard Peltier Defense Committee - International Office -
PO Box 583 Lawrence, KS 66044, USA
Tel (785) 842-5774 - Fax (785) 842-5796
www.leonardpeltier.org

À l’attention de : M. Serge July, directeur de publication, de M.
Antoine de Gaudemar, directeur de la rédaction et du secrétariat de
rédaction du journal Libération

De : Sylvain Duez-Alesandrini, co-coordinateur international du
Leonard Peltier Defense Committee

RE : Demande de droit de réponse
Article de Libération du mercredi 3 mars 2004, « Règlement de comptes
à Wounded Knee » de Philippe Grangereau

Paris, le 6 mars 2004

Messieurs,

Je vous écris cette lettre au nom du Comité de défense de Leonard
Peltier (Leonard Peltier Defense Committee), une organisation
amérindienne basée à Lawrence (Kansas, USA), dont je suis le co-
coordinateur international. Votre journal a publié un article le
mercredi 3 mars 2004, intitulé « Règlement de comptes à Wounded
Knee », rédigé par Philippe Grangereau, qui porte préjudice au
prisonnier politique amérindien Leonard Peltier, qui est entré dans
sa 29ème année d’incarcération au pénitencier fédéral de Leavenworth,
Kansas, pour un crime qu’il n’a pas commis. En effet, depuis 1986, le
gouvernement américain reconnaît qu’il ne peut pas prouver qui est
coupable des meurtres pour lesquels M. Peltier a été condamné après
un procès inique, mais a toujours refusé de lui accorder un nouveau
procès. Amnesty International, plusieurs Prix Nobel de la Paix et des
millions de personnes à travers le monde demandent depuis des
décennies sa libération immédiate et sans condition.

L’article de M. Grangereau, qui traite de « l’affaire Anna Mae
Aquash », laisse entendre que Leonard Peltier serait impliqué dans le
meurtre de cette militante de l’American Indian Movement (AIM) dans
les années 1970. Ces accusations sont totalement mensongères et
infondées et portent préjudice à M. Peltier. Le Comité de défense
s’interroge sur la rigueur journalistique employée pour la rédaction
de cet article. En effet, M. Grangereau, bien qu’il ait interviewé
différents interlocuteurs autour du procès de M. Arlo Looking Cloud
(un Amérindien accusé de complicité dans le meurtre de Mme Anna Mae
Aquash ), n’a pas pris la peine de contacter ni Leonard Peltier, ni
son Comité de défense, ni ses conseils. Barry Bachrach, l’avocat
principal de M. Peltier (bien que cité dans l’article) n’a pas eu
l’occasion ni de discuter directement avec M. Grangereau, ni de
répondre aux accusations portées à l’encontre de son client.

Nous sommes troublés de voir retranscrites dans cet article de
longues déclarations de Mme Ka-Mook Nichols et du journaliste Paul
Demain sans que des précisions sur ces deux personnes ne soient
données aux lecteurs. On peut se questionner sur la véracité du
témoignage de Mme Ka-mook Nichols lorsque l’on sait que cette
dernière a avoué avoir touché 42 000 dollars du FBI en rétribution de
son aide au cours de l’enquête (malheureusement ce fait d’importance
est absent des lignes de votre article). De plus, M. Leonard Peltier,
qui a déclaré dans un communiqué être attristé de la déclaration de
Mme Ka-Mook Nichols lors du procès Arlo Looking Cloud, se questionne
sur la probabilité qu’elle ait également subi des pressions du FBI en
vue d’obtenir son témoignage .

En ce qui concerne M. Paul Demain, ce journaliste est entré depuis
trois ans en vendetta contre l’AIM et a de manière macabre fait de
l’affaire Aquash son fonds de commerce. En ce qui concerne Leonard
Peltier, il cite de soi-disant témoins qui auraient la preuve de sa
culpabilité, mais ces derniers n’apparaissant jamais, on peut se
demander s’ils existent vraiment ou s’il ne s’agit pas d’un simple
prétexte pour étayer ses accusations.

Ce que ne fait malheureusement pas non plus votre article, c’est de
restituer l’affaire Aquash dans son contexte politique et historique.
C’est-à-dire le climat de violence politique qui régnait sur la
réserve lakota de Pine Ridge à cette époque et le caractère
conflictuel des relations de l’AIM avec le FBI. Il faut se souvenir
que ces événements se sont produits à l’époque du programme de contre-
espionnage interne du FBI (COINTELPRO, Counter Intelligence Program)
qui visait à éliminer par tous les moyens possibles les organisations
d’opposition aux États-Unis. Ce programme, qui a été utilisé
notamment contre la gauche américaine à l’époque du maccartisme,
contre les mouvements pour les droits civiques, contre les mouvements
anti-guerre du Vietnam, contre le Black Panther Party et contre
l’AIM, a été jugé illégal par le Sénat américain dans les années
1970, au regard de son caractère inconstitutionnel, illégal et
liberticide.

Il existe de substantielles raisons de croire que le FBI a été
directement ou indirectement impliqué dans le meurtre de Mme Aquash
(de nombreuses enquêtes journalistiques, universitaires et même
parlementaires le laissent entendre). Il faut également se rappeler
que durant la période au cours de laquelle Mme Anna Mae Aquash a été
tuée, plus de 60 membres et sympathisants de l’AIM ont été assassinés
sur la réserve de Pine Ridge sans que le FBI n’ouvre de véritable
enquête sur ces meurtres. Ces assassinats se sont déroulés au cours
de ce que la Commission des droits civils des États-Unis a elle-même
reconnu comme étant une « époque de terreur politique » orchestrée
par le FBI et le gouvernement tribal de l’époque. L’implication du
FBI dans cette longue série d’atrocités a été amplement démontrée
depuis lors.

Dans l’article de M. Grangereau, une partie non négligeable de
l’histoire de l’assassinat de Mme Aquash fait défaut : toutes les
zones d’ombres qui règnent autour de l’implication du FBI dans cette
affaire. Comme le disent les compagnons de lutte de Mme Anna Mae
Aquash (dont fait partie Leonard Peltier), cette dernière était une
militante intègre de l’AIM. Mme Aquash, lorsqu’elle travaillait au
Bureau national de l’AIM à Minneapolis, avait découvert et commençait
à dénoncer les agissements provocateurs de deux agents du FBI
infiltrés auprès du Comité directeur du mouvement (les agents
Douglass Durham et John Stewart). Pour maintenir leur couverture,
mais aussi pour neutraliser Mme Aquash, les agents infiltrés ont
utilisé une méthode de contre-espionnage, celle du « bad-
jacketting » : pour se protéger, ils ont fait courir la fausse rumeur
que Mme Anna Mae Aquash était une informatrice travaillant pour le
FBI. Étant donné le climat de terreur politique ambiant, les
conditions de la « neutralisation » de Mme Aquash étaient ainsi
réunies, celles-là mêmes qui entraîneront son assassinat.

Ce qui n’est pas non plus mentionné dans l’article, ce sont les
menaces de mort que l’agent David Price a proférées à l’encontre de
Mme Aquash quelques mois avant son assassinat. Selon une déclaration
de Mme Anna Mae Aquash, lors d’un interrogatoire du 5 septembre 1975,
l’agent Price aurait déclaré qu’elle ne finirait pas l’année vivante
si elle ne coopérait pas avec le FBI. C’est ce même agent Price, qui
connaissait personnellement Mme Aquash puisqu’il l’avait interpellée
et interrogée plusieurs fois, qui mystérieusement s’est déclaré
incompétent pour identifier le corps de cette dernière lorsqu’il a
été découvert le 24 février 1976. Et c’est ce même agent qui, selon
la journaliste Johanna Brand, aurait participé à la dissimulation des
faits, méthode également observée dans les enquêtes sur les
assassinats politiques en Amérique centrale (cf. « The Life and Death
of Anna Mae Aquash », Éditions Lorimer, Toronto, 1978). Ce sont
encore les agents Price et Wood qui ont ordonné de sectionner les
mains de la victime et de les envoyer à Washington DC pour
identification (une procédure peu utilisée). Ce sont eux enfin qui
ont demandé que le corps soit inhumé juste après l’autopsie, mais
avant l’identification formelle (une procédure inhabituelle). Il faut
préciser que lors de la découverte du corps, des traditionalistes
lakotas, sympathisants de l’AIM et amis de Mme Aquash, s’étaient
présentés spontanément pour identifier le corps mais que le FBI le
leur a interdit.

Il faut préciser encore que David Price était présent lors de la
première autopsie du corps, réalisée par le médecin légiste fédéral
M. W.O. Brown, qui avait conclu que Mme Aquash était soit-disant
morte de froid. Ce n’est que grâce à la famille de la victime et à M.
Bruce Ellison, l’avocat de Mme Aquash (également avocat de Leonard
Peltier) que le corps a été exhumé et qu’une seconde autopsie
indépendante a été effectuée. Il a alors été établi que le médecin
légiste travaillant pour le FBI n’avait pas noté la présence d’une
balle tirée à bout portant dans le crâne de la victime.

Tous ces faits d’importance manquent cruellement à l’enquête que vous
avez réalisée et que vous avez soumise aux lecteurs de Libération.

Pour toutes celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire
contemporaine et à la lutte pour la reconnaissance des droits des
peuples autochtones, il est important d’établir la vérité dans le
meurtre d’Anna Mae Aquash, mais aussi dans les autres meurtres de
militants de l’AIM lors de la période du règne de terreur sur la
réserve de Pine Ridge de 1973 à 1976. Il est aussi important
d’obtenir justice et liberté pour Leonard Peltier. Mais l’enquête qui
est menée actuellement sur l’affaire Aquash et ce qui s’est produit
lors du procès d’Arlo Looking Cloud prouve que ce sont d’autres
motifs qui sont recherchés par le gouvernement américain et le FBI.
Loin de rechercher la justice dans cette affaire, ils essayent de
propager la méfiance et la suspicion autour de l’AIM, de ses alliés
et sympathisants, et de créer la confusion au sein des populations
amérindiennes. Cette manœuvre fait partie d’un plan concerté pour
essayer de maintenir Leonard Peltier derrière les barreaux pour le
restant de ses jours (alors que toutes les preuves du déni de justice
à son encontre ont été présentées à de nombreuses reprises).

Malheureusement, l’article de Libération s’intègre dans cette
campagne de désinformation et laisse encore plus planer le doute.

Nous sommes aussi extrêmement choqués par la légende mise sous la
photo de M. Leonard Peltier, qui laisse entendre qu’en plus d’être « 
en prison à vie pour avoir tué deux agents du FBI » (chose que le
gouvernement américain, par la voix de son procureur, a déclaré à
plusieurs reprises ne pas pouvoir prouver), il serait impliqué dans
l’affaire Aquash. Si c’était le cas, pouvez-vous expliquer pourquoi,
depuis le jour de son incarcération, Leonard Peltier et ses avocats
ont toujours inclus la recherche de la vérité dans l’affaire Aquash ?
De même, depuis des années, le Comité de défense demande l’ouverture
d’enquêtes par le Congrès américain pour étudier le règne de terreur
sur la réserve de Pine Ridge dans les années 1970, les malversations
du FBI, et réexaminer le cas Peltier.

Libération était dans les années 1970 l’un des seuls journaux
français à suivre de près la lutte des Amérindiens pour la
reconnaissance de leurs droits. En 1995, la plume de M. Maurice
Rebeix accordait une page « Portrait » à Leonard Peltier. M.
Grangereau, en ne donnant pas à vos lecteurs tous les éléments pour
comprendre les faits énoncés dans son article du 3 mars dernier,
semble s’être fourvoyé dans la campagne de désinformation orchestrée
par le FBI.

Après avoir discuté avec plusieurs protagonistes de l’affaire et en
accord avec M. Leonard Peltier et son avocat principal, M. Barry
Bachrach, nous vous demandons, afin de rétablir la vérité et contre-
balancer les propos qui ont été publiés dans vos colonnes, de nous
accorder un droit de réponse. Ce droit de réponse, qui pourrait se
concrétiser sous la forme d’un « Rebonds » écrit par Leonard Peltier
lui-même de sa cellule de Leavenworth, viserait non pas à réfuter
point par point les arguments utilisés dans l’article de M.
Grangereau, mais à rétablir la vérité en donnant la parole
directement à l’une des victimes de cette histoire obscure des États-
Unis.

Je reste à votre entière disposition pour toute information
complémentaire et pour faire le lien avec Leonard Peltier et son
avocat aux États-Unis. Si vous désirez discuter plus en profondeur de
ce droit de réponse, M. Bobby Castillo (Amérindien apache/xicano,
porte-parole de Leonard Peltier), M. Bob Robideau (Amérindien
anishinabe, co-accusé de Leonard Peltier dans l’affaire de la
fusillade d’Oglala), les avocats Barry Bachrach et Bruce Ellison, M.
Maurice Rebeix (photographe et ami du peuple lakota), ainsi que moi-
même, sommes prêts à répondre à vos questions.

Au moment où M. Rodolfo Stavenhagen, rapporteur spécial de l’ONU sur
les libertés fondamentales et les droits humains des peuples
autochtones, va présenter son rapport sur « l’Administration de la
justice et les peuples autochtones » à la prochaine session de la
Commission des Droits de l’Homme, et où le cas Peltier sera l’un des
principaux cas d’étude, il serait souhaitable que l’information
autour de son affaire soit impartiale et permette à chacune des
parties de donner sa version.

Dans l’attente de votre réponse, veuillez recevoir, messieurs, nos
sincères salutations.

Pour le Leonard Peltier Defense Committee (LPDC)

Sylvain Duez-Alesandrini
Co-coordinateur international

Pour me contacter à Paris :
Leonard Peltier Defense Committee c/o CSIA
21ter rue Voltaire, 75011 Paris, France
Tel : 01 43 73 05 80, fax : 01 43 72 15 77, Email :
freepeltier@no-log.org