Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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#Covid-19 / Guerrero - Coronavirus et communautés autochtones...

publiée le 12/04/2020 par CSIA-Nitassinan

Coronavirus et communautés autochtones...

Communiqué conjoint du Conseil indigène et populaire du Guerrero-Emiliano Zapata - CIPOG-EZ, du Front national de libération des peuples - FNLP et de l’Organisation paysanne de la Sierra Sud - OCSS face au contexte actuel

Guerrero, Mexique, 30 mars 2020

À l’Armée zapatiste de libération nationale,
Au Congrès national indigène,
Au Conseil indigène de gouvernement,
Aux peuples de Guerrero,
Aux peuples du Mexique et du monde,
A la Sexta nationale et internationale,
Aux réseaux de résistance et rébellion,
Aux réseaux de soutien au CIG,
Aux médias honnêtes,

Nous sommes des hommes et des femmes du Conseil indigène et populaire du Guerrero-Emiliano Zapata - CIPOG-EZ, d’origine Na savi, Me pháá, Ñamnkue, Nahua, afromexicains et métis, de l’´État du Guerrero. Nous nous coordonnons avec nos frères du Front national de libération des peuples - FNLP et de l’Organisation paysanne de la Sierra Sud - OCSS, et au niveau national nous faisons partie du Congrès national - CNI et du Conseil indigène de gouvernement - CIG, la maison de tous les peuples indigènes du Mexique, créée en octobre 1996, en tant qu’espace de débat, de réflexion et de solidarité pour comprendre la lutte de chaque peuple que nous rencontrons et pour nous étreindre face aux nombreuses tragédies générées par le capitalisme à l’encontre de nos peuples.

Nous vous informons que, suite à l’expansion du coronavirus, nous nous replions avec nos communautés afin de prévenir la contagion de la pandémie au vu des conséquences qu’elle pourrait provoquer dans nos villages. En effet, c’est avec une immense douleur que nous lisons dans l’actualité que la contagion de la pandémie du Coronavirus-19 augmente de jour en jour, ravage tout et tue la vie humaine. Nous avons vu que les pays modernes, malgré leurs infrastructures sanitaires et leur sécurité, deviennent en quelques jours un cauchemar meurtrier et bouleversant. Si cela se passe là-bas où on bénéficie de meilleures conditions budgétaires, que se passera-t-il ici si la pandémie touche nos peuples originaires et métis qui se trouvent dans la misère ? C’est la raison pour laquelle nous sommes préoccupés par le manque de fonds destinés à la santé et c’est affreux car une famille qui n’a déjà pas assez pour manger ne risque pas de pouvoir acheter des désinfectants.

En tant que peuples originaires, nous avons compris que la maladie du coronavirus est un motif pour contrôler nos peuples et notre territoire. Il semble que le coronavirus n’en ait pas seulement après la santé et la vie humaine mais aussi après les richesses et après les peuples en résistance qui subsistent encore dans les territoires indigènes et du monde. Malgré tout cela, nous poursuivrons la résistance comme l’ont toujours fait nos ancêtres face à la mort que représente aujourd’hui cette pandémie, comme ce fut le cas il y a 528 ans avec la chute de la ville de Tenochtitlan et l’arrivée de la maladie apportée par les Espagnols à nos peuples mésoaméricains qui entraînèrent par ailleurs le génocide et l’invasion de notre territoire à l’époque coloniale.

D’autre part, nous voulons vous dire que, nous qui habitons cette terre du Sud, nous savons que le Guerrero a joué un rôle important au cours de la construction de l’État mexicain ; beaucoup de nos frères ont donné leur vie et leur sang en faveur des mouvements de lutte pour l’indépendance et nous avons servi de chair à canon pendant la révolution mexicaine pour engendrer ce pays. Cette terre du Sud-Est a forgé de grands activistes sociaux tout au long de l’histoire du Mexique et, depuis cette date jusqu’à nos jours, nombre d’entre eux ont été assassinés et portés disparus. C’est pour cette raison que cela ne fait aucun doute pour nous que nous sommes des objets de droit pour le système capitaliste, parce que c’est nous qui avons payé avec le plus grand nombre de morts mais aussi par la répression et la prison que nous ne méritions pas, alors qu’il s’agissait de nous imposer leurs mauvais projets qui pour nous représentent la mort.

Nos peuples ont toujours été en lutte et ils n’ont jamais faibli, bien au contraire. Nous avons trouvé comme exemple de lutte historique et comme héritage, les efforts de l’ouvrier et du paysan comme l’ont été Genaro Vazquez Rojas et Lucio Cabañas Barrientos qui, parce qu’ils voulaient vivre dans de meilleures conditions et sans être exploités, sont tombés il n’y a pas si longtemps. Ces hommes humbles venus du peuple ont donné leur vie parce qu’ils aspiraient à un monde meilleur.

Au Guerrero et au niveau national, la richesse se concentre dans quelques mains, ce qui pour nous, les peuples originaires, signifie que le pillage et le saccage de nos ressources naturelles continuent. Notre terre et notre territoire vers lesquels nous avons été acculés par le passé étaient les pires régions ; mais aujourd’hui, à cause de la richesse qu’ils contiennent, à nouveau on ose nous déplacer comme il y a 528 ans.

Pour atteindre leur objectif et envahir nos terres, ils se servent du trafic de drogue qui terrorise nos communautés, afin de s’emparer des espaces qui nous appartiennent. À maintes reprises, nous nous sommes interrogés sur la cause de l’indice élevé de marginalisation et de pauvreté dans nos villages. Nous avons compris que durant cinq siècles, on nous a volés, par la corruption, qui permet de s’enrichir des impôts du peuple, et par la privatisation souterraine qui est leur façon d’agir. Il en résulte donc dans notre pays qu’une poignée d’oligarques ont causé la faim, la misère, la maladie, le manque de logement pour des millions de familles, la malnutrition, l’analphabétisme, le manque d’eau et d’électricité.

Leurs moyens pour se maintenir au pouvoir sont les fraudes, les pièges, les magouilles et les abus de tout type qui se multiplient dans toutes les régions du pays et dans tous les secteurs de notre société. Et les droits humains continuent à être violés ; les peuples en résistance subissent la présence des militaires alors que le crime organisé agit en toute liberté. De là surgit l’insécurité : toutes les deux heures un mexicain disparaît, des milliers de voitures sont volées et des milliers de fraudes et d’extorsions sont commises. C’est la face visible de la guerre qui veut se cacher et, nous, nous disons que c’est la réalité que nous traversons et que personne n’y échappe.

Autour de cette guerre se sont développés de nouveaux moyens gouvernementaux comme le déploiement des investissements étrangers et la privatisation du noyau communal et agraire, sans respect pour nos montagnes, nos lieux sacrés, où sont préservés l’esprit et la mémoire de nos ancêtres. Face à ces menaces, nos peuples se sont organisés pour défendre leur terre et leur territoire et la réponse de l’État, ce sont les assassinats, la répression et l’emprisonnement de nos leaders et activistes sociaux.

Les sociétés et entreprises transnationales sont le nouveau sujet de l’expansion du capitalisme. Grâce à elles, ils contrôlent la vie et l’économie de millions de personnes selon cette méthode et cette stratégie qui fragmentent, divisent et confrontent nos peuples ; toutes les sortes de partis politiques en sont un exemple clair, peu importe leur couleur, ils se sont chargés de nuire au tissu social et à la vie communautaire, pour essayer de prendre le pouvoir et d’exercer le contrôle sur la population.

C’est la raison pour laquelle nous, les peuples Na savi, Me pháá, Ñamnkue, Nahua, afromexicain et métis qui faisons partie du CNI, convoquons vos cœurs à continuer de résister, que vous soyez ouvrier, paysan, de la campagne, de la ville, enseignant, étudiant, homosexuel, lesbienne, transsexuel, artiste, intellectuel, militant, activiste, féministe, sportif, femme ou homme au foyer, colon, homme, femme, enfant, jeune, personne âgée, et nous vous disons que c’est seulement organisés que nous pourrons arrêter cette guerre capitaliste qui est déjà parmi nous.

Au cours de l’histoire, ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir sont les mêmes qui ont commis le crime contre l’humanité lors des tueries d’Aguas Blanca et du Charco, et qui aujourd’hui encore bénéficient d’une impunité silencieuse grâce à la complicité des trois niveaux de gouvernement.

Aujourd’hui, la manière dont le capitalisme a transformé notre nation en un cimetière et en un bain de sang dans le but d’augmenter de façon illégale le marché de la drogue est démontrée ; cela a conduit notre pays vers une crise d’insécurité et d’injustice, ce qui a provoqué que certains villages, en tant que peuples originaires, décident de créer la Sécurité Communautaire et que, au fil des ans, prolifèrent les groupes d’Autodéfense. Si ces villages se sont sentis obligés de se défendre contre la délinquance, c’est parce qu’il y a un vide de pouvoir ; les chefs d’État n’ont que faire de ce qui nous arrive à nous les gens d’en bas et c’est pour cela qu’il faut reconfigurer la structure étatique. Nous avons vu que le nombre de morts a augmenté et, pire encore, que les féminicides se multiplient.

Le fait même de diffuser des informations sur ce qui se passe représente une menace pour les moyens de communication qui souffrent de harcèlement et de persécution quotidiennement. Actuellement, le niveau des risques encourus par les journalistes s’est aggravé ; ils subissent continuellement des actes d’intimidation, de harcèlement, de blocage, des attaques physiques et bien d’autres délits à leur encontre. Cela montre qu’il n’y a pas de liberté d’expression.

En ce sens, les mauvais gouvernements, autant au niveau fédéral, qu’étatique et municipal, nous mentent en disant que le Mexique est entré dans un processus de changement : ce discours est très loin de la réalité de nos communautés, de nos banlieues et de nos quartiers. C’est sous cette conduite et sous le mandat de la classe dominante que s’est menée la quatrième transformation.

Avec la réforme de l’article 27 de la Constitution, l’adoption de la Loi agraire et l’instrumentalisation du programme PROCEDE, les terres éjidales ou communales se sont incorporées au marché néolibéral, là où les bénéfices sont en faveur des grands capitaux et où les paysans sont à nouveau exploités et oubliés dans les champs agricoles comme durant les temps de la colonie et du gouvernement de Porfirio Diaz ; là où le banquier continue à diriger le destin du pays, sans s’importuner de qui il écrase.

La reconstruction de la campagne mexicaine sera seulement possible si rendre la terre au paysan redevient réalité en même temps qu’obtenir la liberté à laquelle il a aspiré pendant des siècles ; et, pour que cela devienne réalité, il est nécessaire que s’unissent les indigènes, membres de communautés et paysans sans terre déplacés, les membres de petits éjidos et les moyens propriétaires car, si nous sommes séparés, nous perdrons le peu qu’il nous reste de la terre que nous ont donnée en héritage nos ancêtres mésoaméricains.

Nous nous sommes rendu compte que les mauvais gouvernements, peu importe leur couleur, ne sont pas intéressés par ce que la terre produit. Cela ne les intéresse pas non plus d’aider les plus démunis à sortir de la pauvreté dans laquelle ils se trouvent, ni s’ils nous maintiennent dans l’esclavage du XXIe siècle. Ce qui importe pour eux, c’est de tendre la main aux banquiers.

Leur politique de gouvernement consiste à envahir la terre et le territoire ; c’est le cas avec le projet du train maya, avec le couloir éolien de l’isthme de Tehuantepec, avec la centrale thermo-électrique ou les gazoducs à Huesca, et avec beaucoup d’autres projets dans notre pays. Tous ces projets de mort concernent des territoires de peuples originaires.

Pour les peuples originaires, il y a seulement deux options : résister ou permettre ce qu’ils appellent la modernisation, qui, en fin de compte, si nous la permettons, apportera encore plus de tragédies et de mort. Ceux d’entre nous qui s’opposent à ce projet de mort, ce sont nous, les peuples originaires qui vivons dans des maisons en pisé, aux murs faits de bois et de branches d’arbres et aux toits de carton avec des carences en tout genre.

C’est la raison pour laquelle, en tant que Congrès national indigène, nous poursuivons notre marche pour nous rencontrer à nouveau et nous regrouper contre l’extermination, la violence, la domination et l’exploitation, pour qu’ensemble nous continuions à construire un autre monde possible.

Fraternellement

- Que justice soit faite à nos morts et aux femmes assassinées au Mexique et dans le monde

- Liberté pour nos prisonniers et prisonnières politiques de l’État de Guerrero, du Mexique et du monde.

- Pas une mort de plus, ni de répression, au CNI-CIG !

Ils ont arraché nos fruits
Ils ont coupé nos branches
Ils ont brûlé nos troncs
Mais ils n’ont pas pu
Tuer nos racines.

Plus jamais un Mexique sans nous !

Source : Congrès National Indigène

traduction collective