Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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Voyage zapatiste - La Traversée pour la Vie : Qu’allons-nous faire ? - Communiqué du SupGaleano de l’EZLN - Juin 2021

publiée le 27/06/2021 par CSIA-Nitassinan

La Traversée pour la Vie : Qu’allons-nous faire ?

Juin 2021

Une précision : souvent, quand nous utilisons « los zapatistas », ce n’est pas aux hommes que nous faisons référence mais aux peuples zapatistes. Et quand nous utilisons « las zapatistas », ce ne sont pas les femmes que nous décrivons mais les communautés zapatistes. Vous trouverez donc ce « saut » d’un genre à l’autre dans notre expression. Quand nous faisons référence au genre, nous ajoutons toujours « otroa » pour montrer l’existence et la lutte des personnes qui ne sont ni hommes ni femmes (et que notre ignorance en la matière nous empêche de préciser – mais nous apprendrons à nommer toutes les différences-)

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Ceci étant dit, la première chose que vous devez savoir ou comprendre c’est que nous, les zapatistes, quand nous allons faire quelque chose, nous nous préparons tout d’abord au pire. On imagine d’abord que ça finira par un échec, et en sens inverse, on se prépare à y faire face ou, dans le meilleur des cas, à l’éviter.

Par exemple, nous imaginons que nous allons être attaqués, les massacres de rigueur, le génocide déguisé en civilisation moderne, l’extermination totale. Et nous nous préparons à toutes ces possibilités. Bon, pour le premier janvier 1994, nous n’imaginions pas la défaite, nous l’assumions comme une certitude.

Bref, peut-être que cela vous aidera à comprendre le pourquoi de notre effarement initial, de nos hésitations et d’une improvisation déconcertante lorsque, après beaucoup de temps, de travail et de préparation au désastre, il nous est apparu que…. nous étions vivants.

C’est à partir de ce scepticisme que nos initiatives se développent. Certains petits, d’autres plus grands, tous délirants, nos appels sont toujours dirigés vers « l’autre », ce qui est au-delà de notre horizon quotidien, mais que nous reconnaissons comme nécessaire à la lutte pour la vie, c’est-à-dire à la lutte pour l’humanité.

Par exemple, pour cette initiative, ce pari, ce délire ou cette folie, dans sa version maritime, nous nous sommes préparés à ce que le Kraken, une tempête ou une baleine blanche égarée, fassent naufrager l’embarcation, c’est pourquoi nous avons fabriqué des canoës – et ils ont voyagé avec l’Escadron 421 sur la Montagne jusqu’à l’arrivée à Vigo, Galice, État espagnol, Europe.

Nous nous sommes aussi préparés à ne pas être les bienvenus, c’est pourquoi nous avons recherché auparavant le consensus sur l’invasion, c’est-à-dire, la visite… Bon, du fait d’être les « bienvenus », nous n’en sommes pas encore vraiment sûrs. Pour plus d’un, d’une, d’unx, notre présence est pour le moins perturbante, voire franchement intrusive. Et nous le comprenons, après plus d’un an de confinement, cela pourrait sembler inopportun à plus d’un qu’un groupe d’indigènes d’origine maya, de simples producteurs et consommateurs de marchandises (à but électoral ou pas) prétende discuter en personne. En personne ! (vous vous souvenez que cela faisait auparavant partie de votre quotidien ?). Et en plus que sa mission principale soit de vous écouter, de vous bombarder de questions, de partager des cauchemars et, évidemment, des rêves.

Nous nous sommes préparés à ce que les mauvais gouvernements, d’un côté comme de l’autre, empêchent ou rendent difficiles notre départ et notre arrivée, c’est pourquoi certain.es zapatistes, nous étions déjà en Europe…. Oups, je n’aurais pas dû écrire ça, effacez-le. Nous savons maintenant que le gouvernement mexicain ne nous mettra pas d’obstacle. Il reste à voir ce que vont dire et faire les autres gouvernements européens – étant donné que le Portugal et l’État espagnol ne se sont pas opposés.

Nous nous sommes préparés à ce que la mission échoue, c’est-à-dire qu’elle se transforme en un évènement médiatique, et de ce fait, fugace et sans intérêt. C’est pourquoi nous avons, avant tout, accepté les invitations de qui veut écouter, parler, c’est-à-dire discuter. Car notre principal objectif, ce ne sont pas les rassemblements de masse – même si nous ne les excluons pas – mais l’échange d’histoires, de connaissances, de sentiments, de points de vue, de défis, d’échecs et de succès.

Nous nous préparerons à une panne d’avion, c’est pourquoi nous avons fabriqué des parachutes brodés de nombreuses couleurs pour que, au lieu d’un « Jour J » en Normandie (oh, oh, cela veut dire que le débarquement aérien se ferait en France ? … hein ? … à Paris ?!), ce soit un « Jour Z » pour l’Europe d’en-bas, et il semblera alors que du ciel, il pleuve des fleurs comme si Ixchel, la déesse mère, la déesse arc-en-ciel, nous accompagnait, et qu’avec sa main et son envol, elle ouvrait un deuxième front pour l’invasion. Et c’est le plus probable car maintenant, grâce à la Galice d’en-bas, l’Escadron 421 a réussi à établir un avant-poste sur la plage, sur les terres de Breogán.

En somme, nous nous préparons toujours à l’échec … et à la mort. C’est pourquoi la vie, pour le zapatisme, est une surprise qu’il faut célébrer tous les jours, à toute heure. Et comment mieux le faire qu’avec des danses, de la musique, des arts.

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Pendant toutes ces années, nous avons appris beaucoup de choses. La plus importante est peut-être de réaliser à quel point nous sommes petits. Et je ne me réfère ni à la taille ni au poids, mais à la dimension de notre engagement. Les contacts avec des personnes, des groupes, des collectifs, des mouvements et des organisations de différentes parties de la planète, nous ont montré un monde diversifié, multiple et complexe. Cela a renforcé notre conviction que toute proposition d’hégémonie et d’homogénéité non seulement est impossible, mais qu’elle est, surtout, criminelle.

Parce que les tentatives, -souvent occultées derrière des nationalismes en carton-pâte dans les vitrines du centre commercial de la politique électorale-, d’imposer des manières d’être et des regards, sont criminelles parce qu’elles visent à l’extinction des différences en tout genre.

L’autre c’est l’ennemi : la différence de genre, de race, d’identité sexuelle ou asexuelle, de langue, de couleur de peau, de culture, de credo ou sans credo, de conception du monde, de physique, de stéréotype de beauté, d’histoire. Si l’on prend en considération tous les mondes qui sont dans le monde, il y a pratiquement autant d’ennemis, actuels ou potentiels, que d’êtres humains.

Et nous pourrions dire que presque toute affirmation identitaire est une déclaration de guerre à la différence. J’ai dit « presque », et les zapatistes que nous sommes, nous tenons fort à ce « presque ».

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Suivant nos façons de faire, nos calendriers et dans notre géographie, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il est toujours possible que le cauchemar empire. La pandémie du dit « Coronavirus » n’est pas l’apocalypse. Ce n’est que son prélude. Si les médias et les réseaux sociaux voulaient nous rassurer, avant, en nous « informant » de la disparition d’un glacier, d’un tremblement de terre, d’un tsunami, d’une guerre dans une partie reculée de la planète, de l’assassinat d’un autre indigène par des paramilitaires, d’une nouvelle agression contre la Palestine ou contre le peuple mapuche, de la brutalité gouvernementale en Colombie et au Nicaragua, d’images de camps de migrants qui sont d’ailleurs, d’un autre continent, d’un autre monde, et ainsi nous convaincre que cela « se passe ailleurs » ; en seulement quelques semaines, la pandémie a démontré que le monde peut se résumer à une petite paroisse égoïste, idiote et vulnérable. Les différents gouvernements nationaux sont les gangs qui prétendent contrôler, au moyen d’une violence « légale », une rue ou un quartier, mais le « parrain » qui contrôle tout, c’est le capital.

Bref, de pires choses sont à venir. Mais ça vous le saviez déjà, non ? Et si non, il est grand temps que vous vous en rendiez compte. Parce que, en plus d’essayer de vous convaincre que les peines et les malheurs ne concerneront toujours que les autres (jusqu’à que cela ne soit plus le cas, et qu’ils s’assoient avec vous à table, troublent votre sommeil et épuisent vos larmes), on vous dit que la meilleure manière d’affronter ces menaces, c’est individuellement.

Qu’on évite le mal en s’en éloignant, en se construisant un monde hermétique, et en le rendant toujours plus étroit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place que pour le « moi je, mon, me, avec moi ». Et pour cela, on vous offre des « ennemis » sur mesure, qui ont toujours une un point faible et qu’il est possible de vaincre en achetant, écoutez moi bien, cet article qui, voyez, quelle coïncidence, est une occasion unique, nous avons une promotion et vous pourrez l »acquérir et le recevoir à la porte de votre bunker, ce n’est qu’une question d’heures, de jours … ou de semaines, parce que la machine a découvert, oh surprise, que le gain dépend aussi de la circulation des marchandises, et que, si ce processus s’arrête ou s’ankylose, la bête souffre … c’est pourquoi leur distribution et leur livraison constitue aussi un commerce.

Mais, en tant que zapatistes que nous sommes, nous avons étudié et analysé. Et nous voulons confronter les conclusions auxquelles nous sommes arrivés, avec des scientifiques, des artistes, des philosophes et des analystes critiques du monde entier.

Mais pas seulement, aussi et surtout avec les personnes qui, dans le quotidien de leurs luttes, ont souffert et se sont rendues compte des malheurs à venir. Parce qu’en ce qui concerne les questions sociales, nous tenons en haute estime l’analyse et l’évaluation de celles et ceux qui risquent leur peau dans le combat contre la machine, et nous sommes sceptiques face à celles des personnes qui, avec leur regard extérieur, opinent, évaluent, conseillent, jugent et condamnent ou absolvent.

Mais, attention, nous considérons que ce regard critique « outsider » est nécessaire et vital, parce qu’il permet de voir des choses qu’on n’observe pas dans le tumulte de la lutte et, attention, il apporte des connaissances sur la généalogie de la bête, ses transformations et son fonctionnement.

En bref, nous voulons parler et, surtout, écouter les personnes qui y seront disposées. Et nous n’accordons pas d’importance à leur couleur, à leur taille, à leur race, à leur sexe, à leur religion, à leur militance politique ou leur faux pas idéologique, à partir du moment où elles coïncident quant au portrait-robot de la machine assassine.

Parce que si, quand nous parlons du criminel, quelqu’un l’identifie avec le destin fatidique, le mauvais sort, « l’ordre naturel des choses », la colère divine, le laisser-aller et la désinvolture, alors là nous n’avons plus aucun intérêt à écouter ni à parler. Pour connaître ces explications, il suffit de regarder des feuilletons télévisés et d’aller sur les réseaux sociaux à la recherche de confirmation.

Autrement dit, nous croyons avoir établi qui est le criminel, son modus operandi et le crime en soi. Ces 3 caractéristiques se synthétisent en un système, c’est à dire en une manière d’être en relation avec l’humanité et avec la nature : le capitalisme.

Nous savons que c’est un crime en cours et que son aboutissement sera désastreux pour le monde entier. Mais ce n’est pas cette conclusion qu’il nous intéresse de corroborer, non.

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Parce qu’il s’avère que, également en étudiant et en analysant, nous avons découvert quelque chose qui peut être important ou pas. Cela dépend.

Partant du principe que cette planète sera anéantie, du moins telle que nous la percevons jusqu’à présent, nous avons étudié toutes les options possibles.

C’est à dire, le bateau coule et là-haut ils disent qu’il ne se passe rien, que c’est passager. Oui, comme lorsque le pétrolier Prestige a fait naufrage au large des côtes européennes (2002) – la Galice en a été le premier témoin et la première victime – et que les autorités commerciales et gouvernementales ont déclaré que seules quelques giclées de carburant s’étaient répandues. La catastrophe n’a été payée ni par le Chef aux commandes, ni par ses sous-chefs et contremaîtres. Elle a été payée, et continue de l’être, par les populations qui vivent de la pêche le long de ces côtes. Elles et leurs descendants.

Et par « Bateau », nous entendons la planète homogénéisée et hégémonisée par un système : le capitalisme. Bien sûr, ils pourront dire que « ce n’est pas notre bateau », mais le naufrage actuel n’est pas seulement celui d’un système, c’est celui du monde entier, complet, total, jusqu’au coin le plus reculé et le plus isolé, et pas seulement celui de ses centres de pouvoir.

Nous comprenons que certains pensent qu’il est encore possible de réparer, rafistoler, repeindre un peu ici et là, pour rénover le bateau et qu’ils agissent en conséquence. Le maintenir à flot quoi qu’il arrive, même en vendant le fantasme que des méga-projets sont possibles qui non seulement n’anéantissent pas des villages entiers, mais aussi n’affectent pas la nature.

Qu’il y ait des gens qui pensent qu’il suffit d’être très déterminé et de se mettre une bonne couche de maquillage (au moins jusqu’à la fin des processus électoraux). Et qui croient que la meilleure réponse aux exigences du « Jamais plus » – répétées dans tous les coins de la planète – sont les promesses et l’argent, les programmes politiques et l’argent, les bonnes intentions et l’argent, les drapeaux et l’argent, les fanatismes et l’argent. Qui croient dur comme fer que les problèmes du monde se résument au manque d’argent.

Et l’argent a besoin de routes, de grands projets civilisateurs, d’hôtels, de centres commerciaux, d’usines, de banques, de main-d’œuvre, de consommateurs,… de police et d’armées.

Ce que l’on appelle les « communautés rurales » sont classées comme « sous-développées » ou « arriérées » parce que la circulation de l’argent, c’est-à-dire des marchandises, est inexistante ou très réduite. Peu importe que, par exemple, leur taux de féminicide et de violence de genre soit inférieur à celui des zones urbaines. Les succès gouvernementaux se mesurent au nombre de zones détruites et repeuplées par des producteurs et des consommateurs de marchandises, grâce à la reconstruction de ce territoire. Là où il y avait un champ de maïs, une source, une forêt, il y a maintenant des hôtels, des centres commerciaux, des usines, des centrales thermoélectriques, … la violence de genre, la persécution de la différence, le trafic de drogue, des infanticides, le trafic d’êtres humains, l’exploitation, le racisme, la discrimination. En bref : la c-i-v-i-l-i-s-a-t-i-o-n.

Leur idée est que la population paysanne devienne l’employée de cette « urbanisation ». Ils continueront à vivre, à travailler et à consommer dans leur localité, mais le propriétaire de tout leur environnement est un conglomérat industriel-commercial-financier-militaire dont le siège est dans le cyberespace et pour qui ce territoire conquis n’est qu’un point sur la carte, un pourcentage des bénéfices, une marchandise. Et le véritable résultat sera que la population autochtone devra migrer, car le capital arrivera avec ses propres employés « qualifiés ». La population d’origine devra arroser les jardins et nettoyer les parkings, les magasins et les piscines là où il y avait autrefois des champs de cultures, des forêts, des côtes, des lagunes, des rivières et des sources.

Ce que l’on cache, c’est que derrière les expansions (« guerres de conquêtes ») des États, -qu’elles soient internes (« en intégrant plus de population à la modernité ») ou externes sous différents prétextes (comme celui du gouvernement d’Israël dans sa guerre contre la Palestine)- il y a une logique commune : la conquête d’un territoire par la marchandise, c’est-à-dire l’argent, c’est-à-dire le capital.

Mais nous comprenons que ces gens-là, pour devenir les caissiers qui gèrent les paiements et les encaissements qui donnent vie à la machine, forment des partis politiques électoraux, des fronts – larges ou étroits – pour se disputer l’accès au gouvernement, des alliances et des ruptures « stratégiques », et toutes les nuances dans lesquelles s’engagent des efforts et des vies qui, derrière de petits succès, cachent de grands échecs. Une petite loi par ici, un dialogue officiel par là, une note de presse là, un tweet ici, un like là, et pourtant, pour donner un exemple de crime mondial en cours, les féminicides sont en augmentation. Pendant ce temps, la gauche monte et descend, la droite monte et descend, le centre monte et descend. Comme le chantait l’inoubliable Marisol de Malaga, « la vie est une tombola » : tout le monde (en haut) gagne, tout le monde (en bas) perd.

Mais la « civilisation » n’est qu’un alibi fragile pour une destruction brutale. Le poison continue de jaillir (non plus du Prestige – ou pas seulement de ce navire), et l’ensemble du système semble prêt à intoxiquer jusqu’au dernier recoin de la planète, car la destruction et la mort sont plus rentables que l’arrêt de la machine.

Nous sommes sûrs que vous serez en mesure d’ajouter bien d’autres d’exemples. Des échantillons d’un cauchemar irrationnel et pourtant bien actif.

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Ainsi depuis plusieurs dizaines d’années nous nous sommes concentrés sur la recherche d’alternatives. La construction de radeaux, de canoës, de canots, et même de plus grandes embarcations (la sexta comme une arche improbable), ont un horizon bien défini. Quelque part, il faudra débarquer.

Nous avons lu et nous lisons. Nous avons étudié et continuons à le faire. Nous analysons avant et maintenant. Nous ouvrons notre cœur et notre regard, non pas aux idéologies actuelles ou démodées, mais aux sciences, aux arts et à notre histoire en tant que peuples originels. Et avec ces connaissances et ces outils, nous avons découvert qu’il existe, dans ce système solaire, une planète qui pourrait être habitable : la troisième du système solaire et qui, jusqu’à présent, apparaît dans les livres scolaires et scientifiques sous le nom de « La Terre ». Pour plus de précisions, elle se situe entre Vénus et Mars. C’est-à-dire, selon certaines cultures, entre l’amour et la guerre.

Le problème est que cette planète est déjà un tas de décombres, de cauchemars réels et d’horreurs tangibles. Peu de choses tiennent encore debout. Même le décor qui occulte la catastrophe se fissure. Ainsi, comment dire, le but n’est pas de conquérir ce monde et de profiter des plaisirs du vainqueur. C’est plus compliqué et alors oui, cela demande un effort mondial : il faut recommencer.

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Cependant, selon les grandes productions cinématographiques hollywoodiennes, la solution à la catastrophe mondiale (toujours quelque chose d’extérieur -aliens, météores, pandémies inexplicables, zombies ressemblant à des candidats à quelque fonction publique-), est le produit d’une union de tous les gouvernements du monde (dirigés par les ricains)… ou, pire, du gouvernement américain synthétisé dans un individu ou une individue (parce que la machine a déjà appris que la farce doit être inclusive), qui peut avoir les caractéristiques raciales et de genre politiquement correctes, mais porte sur sa poitrine la marque de l’Hydre.

Mais, loin de ces fictions, la réalité nous montre que tout est commerce : le système produit la destruction et te vend des billets pour que tu t’en échappes… dans l’espace. Et c’est sûr, dans les bureaux des grandes entreprises, il y a de brillants projets de colonisation interstellaire… incluant la propriété privée des moyens de production. C’est dire que le système déménage, tout entier, sur une autre planète. Le “all included” fait référence à celles et ceux qui travaillent, qui vivent sur celles et ceux qui travaillent et à leur rapport d’exploitation.

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Mais parfois ils ne regardent pas seulement l’espace. Le capitalisme « vert » se bat pour des zones « protégées » sur la planète. Des bulles écologiques où abriter la bête pendant que la planète soigne ses morsures (ce qui prendrait à peine quelques millions d’années).

Quand la machine parle d’un « monde nouveau » ou « d’humaniser la planète », elle pense à des territoires à conquérir, dépeupler et détruire, pour ensuite repeupler et reconstruire avec la même logique qui aujourd’hui a amené le monde entier au bord de l’abîme, toujours prêt à faire le pas en avant requis par le progrès.

Vous pensez peut-être qu’il n’est pas possible que quelqu’un soit assez idiot pour détruire la maison où il vit. « La grenouille ne boit pas toute l’eau de la flaque où elle habite« , dit, paraît-il, un proverbe du peuple originaire Sioux. Mais si vous prétendez appliquer une logique rationnelle au fonctionnement de la machine, vous ne comprendrez rien (et la machine non plus). Les appréciations morales et éthiques ne sont d’aucune utilité. La logique de la bête est le profit. Bien sûr, vous vous demandez maintenant comment il est possible qu’une machine irrationnelle, immorale et stupide dirige le destin d’une planète entière. Ah, (soupir), c’est dans sa généalogie, dans son essence même.

Mais, laissant de côté l’exercice impossible de doter de rationalité l’irrationnel, vous arriverez à la conclusion qu’il est nécessaire de détruire cette monstruosité qui non, n’est pas diabolique. Malheureusement elle est humaine.

Et évidemment, vous étudiez, vous lisez, vous confrontez, vous analysez et vous découvrez qu’il existe de grandes propositions pour aller de l’avant. Depuis celles qui proposent des onguents et des maquillages jusqu’à celles qui recommandent des cours de morale et de logique pour la bête, en passant par de vieux ou de nouveaux systèmes.

Oui, nous vous comprenons, la vie est merdique et il est toujours possible de se réfugier dans ce cynisme tellement surestimé dans les réseaux sociaux. Feu le SubMarcos disait : « le problème n’est pas que la vie soit une merde, mais qu’ils t’obligent à la manger et qu’en plus, ils attendent tes remerciements ».

Mais supposons que non, que vous sachiez qu’en effet, la vie est puante, mais que votre réaction ne soit pas de vous replier sur vous-même (ou sur votre « monde », selon le nombre de vos « adeptes » sur les réseaux sociaux existants ou en devenir). Et vous décidez donc d’embrasser, avec foi, espoir et charité, l’une des options qui se présentent à vous. Et vous choisissez la meilleure, la plus grande, celle qui a le plus de succès, la plus célèbre, celle qui gagne… ou celle qui est proche de vous.

Grands projets de systèmes politiques nouveaux et anciens. Retards impossibles de l’horloge de l’histoire. Nationalismes patriotiques. Avenirs partagés à condition que telle option prenne le pouvoir et y reste jusqu’à ce que tout soit résolu. Votre robinet fuit, votez pour celui-ci. Trop de bruit dans le quartier ? Votez pour celui-là. Le coût des transports, de la nourriture, des médicaments, de l’énergie, des écoles, des vêtements, des loisirs, de la culture a augmenté ? Vous avez peur de la migration ? Les personnes à la peau foncée, les croyances différentes, les langues incompréhensibles, les tailles et les teints différents vous dérangent ? Votez pour…

Il y en a même qui sont d’accord sur l’objectif mais pas sur la méthode. Et après on répète en haut ce qui a été critiqué en bas. Avec des contorsions répugnantes et en argumentant des stratégies géopolitiques, on soutient celui ou celle qui suit la même voie du crime et de la stupidité. On exige que les peuples supportent les oppressions au profit du « rapport de forces international et de la montée de la gauche dans la région ». Mais le Nicaragua n’est pas Ortega-Murillo et la bête ne va pas tarder à le comprendre.

Dans ces grandes braderies de solution au supermarché mortifère du système, on omet souvent de dire qu’il s’agit de l’imposition brutale d’une hégémonie, d’un décret de persécution et de mort pour tout ce qui n’est pas homogène au vainqueur.

Les gouvernements gouvernent pour leurs partisans, jamais pour ceux qui ne le sont pas. Les stars des réseaux sociaux alimentent leurs troupes, même s’il faut sacrifier l’intelligence et la dignité. Et le « politiquement correct » avale des couleuvres, qui devront ensuite dévorer celui qui préconise la résignation « pour ne pas favoriser l’ennemi principal ».

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Le zapatisme est-il une grande réponse, une de plus, aux problèmes du monde ?

Non. Le zapatisme c’est un tas de questions. Et la plus petite peut être la plus inquiétante. Et toi alors ?

Face à la catastrophe capitaliste, le zapatisme propose-t-il un vieux-nouveau système social idyllique, qui nous fasse reproduire les impositions d’hégémonies et homogénéités devenues « bonnes » ?

Non. Notre pensée est petite comme nous : ce sont les efforts de chacun, dans sa géographie, selon son calendrier et à sa manière, qui permettront, peut-être de liquider le criminel et, simultanément, de tout refaire. Et tout, signifie tout.

Chaque personne, selon son calendrier, sa géographie, à sa manière, devra tracer sa voie. Et comme nous, les peuples zapatistes, elle trébuchera et se relèvera, et ce qu’elle construira prendra le nom qu’elle voudra avoir. Et cela ne sera distinct, et en mieux que ce que nous avons enduré avant, et que nous endurons actuellement, que si cette personne reconnaît ce qui est autre et le respecte, si elle renonce à imposer sa pensée à ce qui est différent, et si finalement elle se rend compte que les mondes sont nombreux et que leur richesse provient de leur différence et brille en elle.

Est-ce possible ? Nous ne le savons pas. Mais ce que nous savons c’est que, pour le vérifier, il faut lutter pour la Vie.

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Alors, qu’allons-nous faire dans cette Traversée pour la Vie si nous n’aspirons pas à dicter des chemins, des routes, des destins ? Pour quoi, si nous ne recherchons pas des adhérents, des votes, des likes ? Pour quoi, si nous ne venons pas pour juger, condamner ou absoudre ? Pour quoi, si nous n’appelons pas au fanatisme pour un nouvel-ancien credo ? Pour quoi, si nous ne cherchons pas à entrer dans l’Histoire et à occuper une niche dans le panthéon moisi du spectre politique ?

Eh bien, pour être honnête avec vous en tant que zapatistes que nous sommes : nous n’allons pas seulement confronter nos analyses et nos conclusions avec l’autre qui lutte et pense de manière critique.

Nous venons pour remercier l’autre d’exister. Le remercier pour les enseignements que sa rébellion et sa résistance nous ont offerts. Pour livrer la fleur promise. Embrasser l’autre et lui dire à l’oreille qu’il n’est pas seule, seulx, seul. Lui murmurer que cela vaut la peine de résister, de lutter, de souffrir pour celles et ceux qui ne sont plus là, d’avoir la rage que le criminel soit impuni, de rêver d’un monde non pas parfait, mais meilleur : un monde sans peur.

Et aussi, et surtout, nous allons chercher des complicités… pour la vie.

SupGaleano.
Juin 2021, Planète Terre.

http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2021/06/27/la-travesia-por-la-vida-a-que-vamos/