Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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Marche paysanne : revendications historiques, pour le droit à la vie et la défense de la Madre Tierra

publiée le 25/06/2012 par Collectif Guatemala

Le 27 mars dernier, arrivait à Guatemala Ciudad l’importante Marche Autochtone, Paysanne et Populaire : des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes de différents peuples Mayas, métisses et Xincas, ont marché depuis Cobán (Alta Verapaz) pendant 9 jours, parcourant 216 kilomètres. Cette marche venait commémorer les expulsions forcées et violentes qui ont eu lieu un an auparavant dans la région Valle (Plaine) del Polochic et demander l’arrêt de la répression et de la criminalisation des mouvements organisés paysans . Les participant-es ont porté les revendications de la population rurale et paysanne aux autorités exigeant que soit résolu le problème historique de la terre, qui met en évidence la division de classes entre riches propriétaires et paysans vivant dans la pauvreté et l’exclusion.

Extraits traduits de l’article “Ils sont revenus pour des réponses” d’Oswaldo J. Hernández, publié le 21 avril 2012.

Par Amandine Grandjean

Vingt jours plus tard, la Marche Autochtone, Paysanne et Populaire pour la Défense de la Terre Mère revient à la capitale afin d’y chercher des réponses. Seulement cette fois, les gens voulaient “quelque chose de clair”, d’après leurs dirigeants. Ils savaient et se rappelaient avoir laissé trois propositions de loi en attente au Congrès, et avoir insisté sur huit points à traiter dans l’agenda gouvernemental. Tout un programme, plus que succinct, qu’ils définissent comme “thèmes prioritaires”. En retour, les participants réclamaient aux pouvoirs de l’Etat le débat promis sur le thème agraire, ainsi que le questionnement du modèle économique actuel et le traitement des injustices et inégalités au Guatemala.

Après 20 jours, le moins qu’il puisse y avoir sont quelques réponses. Cependant la première, au Congrès, est négative. Réunis dans le Salon du Peuple, la présidence du parlement et les dirigeants des partis politiques, en une majorité de 10 blocs contre 5, refusaient l’entrée d’une délégation de paysans demandant à dialoguer au sujet de la loi du Système National de Développement Rural Intégral, la loi des Peuples Autochtones et la loi de Radios Communautaires.

Les revendications exposées au gouvernement

- Répondre aux besoins des 14 communautés expulsées du Valle del Polochic en 2011
- Résoudre les problèmes de terres de Santa María Xalapán (Jalapa), de la Sierra de Chinajá (Alta Verapaz) et d’autres régions où sont survenues des spoliations de terres
- Abandonner la dette agraire qui affecte plus de 100 communautés
- Respecter les résultats de plus de 60 consultations communautaires
- Suspendre les concessions minières et autres mégaprojets
- Retirer les brigades militaires des communautés
- Cesser les expulsions violentes et la criminalisation des luttes paysannes
- Promulguer la loi de Développement Rural Intégral, promesse de la campagne d’Otto Pérez Molina
Ces revendications dirigées au gouvernement ont été reçues par le président Otto Pérez Molina (présent par intermittence) et, entre autres, le ministre de l’intérieur Mauricio López Bonilla.

Abandon de la dette agraire et Polochic
Au sujet de la dette sur les terres, le président soulignait “l’État ne peut condamner une dette, ce serait illégal, mais il peut l’assumer par des subventions progressives, par le biais du Fonds de Terres”. C’est ce qui avait été promis. Le problème sur ce point, c’est le progressif et le traitement individualisé de la dette. Omar Jerónimo, de la Plataforma Agraria exigeait que “la solution sur la dette soit générale, pour tous et non pas comme cela a été annoncé, au cas par cas”. “Nous ne voulons pas que la dette soit transformée mais abandonnée” précisait Daniel Pascual du Comité de Unión Campesina-CUC. Comité d’Union pour Unité
Au sujet du Polochic, la critique de la réponse du gouvernement ne portait pas sur un seul thème. Selon l’État les mesures de protection pour cette région ont été respectées. La COPREDEH affirmait que les questions de logement, d’alimentation et de santé dans la plaine du Polochic, étaient réglées. L’État considérait les personnes réfugiées dans les foyers de leurs voisins comme des personnes possédant un logement. “C’est une farce, ce genre de mesures de protection, il n’y a pas d’évaluation correcte. COPREDEH ment”, expliquaient les dirigeants. Les paysans du Polochic, en front de la marche 20 jours auparavant, demandaient la résolution des conflits de leur région. Ainsi cela avait été formulé dans les listes des revendications, le 27 mars dernier. Des terres ont été promises à 600 familles : la moitié cette année et l’autre l’année prochaine. Bien que, comme le faisaient remarquer les paysans, “ce sont en fin de compte les grands propriétaires de terres et les entreprises qui répondraient à l’appel d’offres pour ces terres”. “Leur financement n’était pas clair non plus, et si cela implique plus de dettes”, remarque Daniel Pascual. “Le sujet du Polochic n’a pas été traité dans le fond”, réagissaient les dirigeants de la marche.

Développement et mégaprojets
Le gouvernement n’a pas jugé possible de déclarer un moratoire sur les concessions de toutes les entreprises minières et barrages hydroélectriques. “En parlant d’État de droit”, répondaient les dirigeants, “eux n’ont pas respecté le nôtre : la consultation populaire.” En présence des témoins d’honneur Monseigneur Álvaro Ramazzini (évêque du diocèse de San Marcos) et Alberto Brunori, (Haut Commissaire aux Droits de l’Homme pour les Nations Unies), le président justifiait la présence d’hydroélectriques et minières au Guatemala par : “le développement économique du pays”. Mais il n’a pas parlé cependant, d’impôts ou du débat sur les royalties que laisse ce secteur dans le pays. Et il résumait, uniquement : “nous voulons être un pays développé”. Pas très clair selon les paysans : “Il n’y pas eu de majeures explications sur les impossibilités légales de l’État à suspendre les concessions” et “cela contraste avec le Costa Rica, où c’est le gouvernement qui a procédé à de telles suspensions”, réclamaient-ils.

Militarisation de l’État ?
“Guatemala a un problème de sécurité nationale” est le principal argument du gouvernement pour justifier la présence militaire dans des régions conflictuelles. La revendication de la marche sur ce point fut la plus clair de toutes : le retrait des troupes militaires. Cette force de l’État a participé de manière violente et intimidante à des expulsions forcées, et dans d’autres cas, les brigades ont servi de siège de négociations entre paysans et grands propriétaires terriens. “Les forces armées sont au service des entreprises, nous n’en voulons pas vers nos villages ”, affirmaient les dirigeants au Président 20 jours auparavant. “Ce sont les communautés elles-mêmes qui sollicitent l’installation d’une nouvelle brigade militaire”, argumentait le ministre de l’intérieur, Mauricio López Bonilla. La réponse du Président était des plus réticentes, de plus, il fut rappelé qu’une brigade militaire sera inévitablement installée à San Juan Sacatepéquez, malgré les revendications de la marche. “La militarisation au niveau national est un sujet inquiétant”, déclarait un des dirigeants en réponse. Et un autre d’avertir : “ l’existence de la brigade militaire de San Juan Sacatepéquez n’a d’autre objectif –ni crime organisé ni trafic de drogue– que la protection de la nouvelle cimenterie de l’entreprise Cementos Progreso”. Le président et son équipe se limitaient au commentaire, bref et à la manière d’une esquive : “la présence militaire est temporaire”. Et aucun accord n’a été atteint. Ni pour ce sujet ni pour aucun des autres thèmes qui étaient restés, pour la plupart en attente de révision. Ils reviendront, une fois de plus, pour une réunion de suivi. Le gouvernement et les dirigeants paysans se sont donné rendez-vous le 22 mai prochain.

in Solidarité Guatemala n°198 mai-août 2012