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Le Canada, plaque tournante de l’industrie minière... et de ses magouilles

publiée le 15/01/2013 par CSIA-Nitassinan


Même s’il n’y a pas de référence particulière à la question autochtone dans cet article (alors qu’ils sont souvent les premiers affectés), le CSIA-Nitassinan a décidé de vous proposer cet entretien fort intéressant sur l’industrie minière, le Canada et ses magouilles, réalisé par le média indépendant BASTAMAG !

"Le Canada n’est ni une nation ni une république, mais une colonie qui a
mis en place des institutions spécialement pour exploiter les ressources
naturelles."


Extractivisme fou

Le Canada, plaque tournante de l’industrie minière... et de ses magouilles

Par Ivan du Roy (15 janvier 2013)

Trois sociétés minières sur quatre ont leur siège social au Canada.
Pourquoi un tel attrait ? Le Canada est un véritable paradis pour ces
entreprises : elles peuvent y spéculer tranquillement sur les gisements du
monde entier tout en y étant protégées en cas de crimes environnementaux
et de violations de droits humains. Une réalité bien éloignée de l’image
plutôt sympathique que véhicule le pays. Entretien avec Alain Deneault,
coauteur du livre enquête Paradis sous terre.

Basta ! : 75% des sociétés minières mondiales ont leur siège au Canada.
Pourquoi ?

Alain Deneault : [1] Il y est plus facile de spéculer en bourse sur la
valeur présumée d’un gisement minier. On peut y mettre en valeur non
seulement les « réserves » qu’une mine contient, soit ce qu’il est
effectivement possible d’extraire, que les « ressources », c’est-à-dire
tout ce qu’une mine contient et que l’on pourrait éventuellement
exploiter. Ainsi, à la bourse de Toronto, il est possible de valoriser une
richesse avérée, mais également la ressource présumée ou espérée : une
richesse plus grande que ce qui a été évalué par les géologues, en
fonction des évolutions des techniques ou des coûts d’exploitation. La
bourse de Toronto a ainsi longtemps été très spéculative, jusqu’au
scandale Bre-X, une société canadienne qui a gonflé artificiellement les
réserves espérées de ses mines d’or, avant de faire faillite, faisant
perdre 4,7 milliards d’euros à ses actionnaires en 1997.

L’industrie minière dispose ainsi d’une manne d’argent drainée par la
Bourse de Toronto, issue des fonds de pensions, des compagnies d’assurance
et des banques. Entre 2007 et 2011, 220 milliards de dollars canadiens
(168 milliards d’euros) de titres miniers y ont été échangés. Le
gouvernement a mis en place des programmes fiscaux pour inciter et
faciliter l’investissement dans le secteur minier. Un véritable pipe-line
alimente ainsi en flux financier les projets miniers dans le monde, de la
Zambie à la Roumanie, que ces projets comportent des risques ou non.

Qu’entendez-vous par « free mining » ?

C’est la manière très singulière au Québec et au Canada de gérer l’accès
aux ressources du sous-sol. Il s’agit littéralement de prendre possession
des droits du sous-sol d’un territoire donné en cliquant sur un site
Internet du ministère des ressources naturelles. On peut ensuite procéder
à des forages d’exploration indépendamment sans avoir l’autorisation des
propriétaires fonciers sur ce territoire. La loi sur les mines confère un
grand nombre d’avantages aux sociétés minières. Elle permet notamment ce
qu’on appelle le « claiming » : revendiquer légalement une portion du
sous-sol, ce qui octroie des droits d’exploration qui supplantent ceux des
propriétaires fonciers, et vont même jusqu’à la possibilité de les
exproprier. Des militants québécois ont montré l’absurdité de la loi en
revendiquant des droits d’exploration dans un parc en plein centre de
Montréal.

Comment le Canada soutient-il l’industrie minière hors de ses frontières ?

Le Canada bénéficie d’une image internationale qui inspire la confiance.
Mais c’est un pays façonné par le secteur minier. Une véritable diplomatie
de complaisance y a émergé. Les diplomates canadiens font pression sur les
autorités locales des pays où les compagnies s’installent, pour les amener
notamment à adopter des codes miniers d’inspiration canadienne. Ces
pressions vont par ailleurs jusqu’à demander l’expropriation des
populations civiles présentes sur les gisements. Et si l’affaire tourne
mal – tensions, révoltes, graves pollutions ou ONG trop curieuses –, vous
disposez, grâce au Canada, d’une couverture judiciaire pour votre société
minière. Bref, on ne vous dérangera pas ! Un groupe de juristes de
l’université d’Oxford (Oxford Pro Bono Publico) estime que le Canada est
un pays anormalement difficile pour poursuivre une entreprise pour les
méfaits qu’elle commet à l’étranger.

N’est-ce pas au pays où la loi est enfreinte de poursuivre une entreprise
criminelle ?

C’est oublier la place de la corruption et les effets qu’ont eu dans les
pays du Sud les politiques dévastatrices du Fonds monétaire international
et de la Banque mondiale, que le Canada a toujours soutenues. On sait bien
que le système judiciaire congolais, par exemple, ne permet pas de
poursuivre une société sur place. Une société canadienne, Talisman Energy,
aurait été poursuivie pour son implication dans la guerre civile au Soudan
si elle n’avait pas quitté ce pays d’Afrique pour éviter que ce soit le
cas. Mais c’était parce qu’elle était cotée à la bourse de New York. Cela
n’aurait pas été possible au Canada. Le Canada s’est officiellement donné
comme mandat de lutter contre la corruption. Mais, selon un rapport
critique de l’OCDE, une seule société y a été épinglée en dix ans ! A la
bourse de Toronto, une société minière est obligée de divulguer une
information seulement si celle-ci est en mesure d’affecter le cours de
l’action…

Les compagnies minières canadiennes se sont particulièrement impliquées
dans les guerres civiles en République démocratique du Congo (RDC).
Pourquoi n’ont-elles jamais été inquiétées ?

Le livre Paradis sous terre, tout comme Noir Canada que j’ai écrit avec
Delphine Abadie et William Sacher, et qui a été attaqué en justice par la
multinationale Barrick Gold, en traitent abondamment [2]. Début 1990, le
pouvoir de Mobutu vacille. La dictature est lâchée par ses soutiens
français et belge. Et mise sous pression par la Banque mondiale pour que
le Zaïre – aujourd’hui RDC – ouvre ses sociétés publiques d’exploitation
minière aux capitaux privés. Précisons que la RDC est le seul pays au
monde où tous les éléments du tableau périodique sont présents dans le
sous-sol (le tableau périodique recense tous les éléments chimiques, dont
les éléments métalliques, de l’argent au zinc, ndlr). C’est dire l’ampleur
des richesses minières ! Bref, tout est à prendre alors que la guerre
civile débute. BarrickGold y acquiert une concession de 82 000 km2
(l’équivalent de l’Autriche, ndlr).

Le problème, c’est que les sociétés minières signent des contrats avec les
belligérants. Pour alimenter sa guerre vers la prise du pouvoir,
Laurent-Désiré Kabila leur accorde des concessions qu’il a sécurisées. Des
contrats invraisemblables sont signés avec des filiales dans des paradis
fiscaux. Dans un rapport, l’Onu cite neuf sociétés canadiennes qui n’ont
pas respecté les principes directeurs de l’OCDE, des critères éthiques
pourtant a minima. Le Canada a donc une énorme responsabilité morale.
L’Onu a demandé au gouvernement de diligenter des enquêtes sur ces
sociétés, car les experts onusiens n’avaient pas les moyens judiciaires et
financiers de les mener à terme. Or, jusqu’à présent, aucune commission
parlementaire – comme l’a fait la France pour son rôle au Rwanda – n’a été
créée.

Comment expliquez-vous cette omerta ?

Le mot est bien choisi. Prenez le Conseil consultatif international de
BarrickGold, leader mondial de l’extraction d’or : aux côtés de George
Bush Senior ou de l’ancien Président de la Bundesbank Karl Otto Pölh, on y
retrouve Paul Desmarais, qui gère un empire médiatique [3]. D’autres
empires médiatiques canadiens sont contrôlés par des investisseurs
également présents dans le secteur des ressources naturelles [4] La presse
ne va donc pas couvrir les affres de l’industrie minière. Les Canadiens
sont tenus dans l’ignorance. Or, c’est leur épargne qui est placée dans
l’industrie minière, dont ils sont devenus de fait les actionnaires.
D’ailleurs, quand on évoque la situation d’un point de vue critique, ces
derniers se montrent sensibles au problème parfois davantage en tant
qu’épargnant qu’en tant que citoyen. Enfin, il est très facile de
poursuivre des citoyens ou des intellectuels en diffamation, à la
différence des Etats-Unis où ils sont protégés par l’amendement sur la
liberté d’expression. Au Canada, dans la hiérarchie des valeurs
juridiques, la réputation passe avant la liberté d’expression.

Pourquoi cette omniprésence du secteur minier au Canada ?

Le Canada n’est ni une nation ni une république, mais une colonie qui a
mis en place des institutions spécialement pour exploiter les ressources
naturelles. Aujourd’hui, les gaz de schiste, le pétrole issu des sables
bitumineux ou les mines d’amiante constituent des legs coloniaux. Notre
pays n’est toujours pas une république, il reste une monarchie
constitutionnelle. La souveraine est Elizabeth II et le Premier ministre
se comporte souvent comme un gouverneur. Les gens ne se considèrent pas
comme des citoyens d’une république mais comme des personnes qui disposent
de droits individuels garantis par un État, qui a la fonction d’une sorte
de police d’assurance a minima. Ils ne se sentent donc pas liés à ses
décisions, qui ne sont pas perçues comme étant prises en leur nom. Au
contraire de la France où le schéma républicain, même critiquable, peut
avoir son efficacité. Le poids du secteur minier révèle le Canada sous son
vrai jour : une colonie créée au service de grands oligopoles.

La France est en train de réformer son code minier. Et l’extraction
minière est de retour en Europe avec les gaz de schiste ou des projets de
nouvelles mines, comme en Roumanie. Que nous conseillez-vous pour éviter
la dérégulation du secteur ?

L’Europe importe la majeure partie de ses minerais. Si elle décide de
relancer l’extraction, les entreprises canadiennes d’exploration risquent
fort de débarquer. La question du droit du sous-sol ne doit pas se penser
au détriment du droit à la propriété foncière. Et il faut différencier les
types d’exploitation : extraire de l’or, de l’uranium ou du diamant n’a
pas les mêmes conséquences ni la même pertinence que le cuivre ou le fer.
L’or, c’est de la folie : des centaines de litres d’eau à la seconde avec
l’utilisation de produits chimiques toxiques qui provoquent l’apparition
d’arsenic. Quant aux royalties, si tant est qu’on juge sensé de permettre
certains chantiers d’exploitation, il faut les prévoir à la source, dès
que le minerai est prélevé, pour que les redevances ne concernent pas que
les profits. Sinon, cela revient à dire à une entreprise : prend mon or ou
mon cuivre, et si tu réalises des marges en les revendant, je te prendrai
un pourcentage. Ce ne serait pas sérieux ! Heureusement, des garde-fous se
manifestent plus rapidement en Europe en cas de dérapages. Je rappelle
qu’en Argentine, BarrickGold a voulu dynamiter un glacier en haute
montagne !

Recueilli par Ivan du Roy

Lire : Paradis sous terre, Comment le Canada est devenu la plaque tournante de
l’industrie minière mondiale, Alain Deneault, William Sacher, Editions Rue
de l’Echiquier, 15 euros.

Notes

[1] Alain Deneault est docteur en philosophie. Il enseigne la pensée
critique à l’Université de Montréal. Il est coauteur, avec l’économiste
William Sacher, de Paradis sous terre, comment le Canada est devenu une
plaque tournante de l’industrie minière mondiale.

[2] Noir Canada a été publié en 2011. La multinationale BarrickGold
réclamait des dommages et intérêts de 6 millions de dollars canadiens (4,6
millions d’euros). L’éditeur a décidé de retirer le livre ([lire ici :
http://www.ecosociete.org/entente.php]), ndlr

[3] Son groupe, Power Corporation du Canada, contrôle, via une filiale, la
publication de plusieurs journaux canadiens, dont le quotidien québécois
La Presse. Paul Desmarais est également proche de l’ancien Président
français Nicolas Sarkozy.

[4] Par exemple, Hollinger Mines, Irving Oil, Hancock Prospecting avec
Canwest Global Communications Corporation.

http://www.bastamag.net/article2852.html

Le CSIA-Nitassinan remercie Ivan du Roy et BASTAMAG ! pour cet article.

Téléchargez la carte de principales mines canadiennes et des résistances dans le monde (PDF) :

Carte des mines canadiennes et des résistances