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Dernière minute : L’impunité menace le procès de l’ancien président Efraín Ríos Montt pour génocide au Guatemala

publiée le 22/04/2013 par CSIA-Nitassinan


Le CSIA-Nitassinan vous propose cet article du Collectif Guatemala concernant la la décision de la juge guatémaltèque Carol Patricia Flores d’annuler le procès pour génocide actuellement en cours contre l’ancien président Efraín Ríos Montt. Non à l’impunité ! Droit, vérité et justice pour les peuples autochtones du Guatemala !

L’impunité menace le procès pour génocide au Guatemala

- Jeudi 18 avril 2013 : le procès est menacé d’être annulé

- Vendredi 19 avril 2013 : La juge Barrios lutte pour la justice

Compte rendu des audiences du 18 et 19 avril 2013, par les envoyés spéciaux du Collectif Guatemala, Vanessa Gongóra et Maxime Verdier.

Jeudi 18 avril, la salle d’audience de la Cour Suprême de Justice où se déroule le procès pour génocide était pleine. En effet, tout au long de la semaine les témoins et experts de la défense se sont succédés à la barre. En parallèle, sont apparus dans la presse et la radio des encarts publicitaires payants issus d’un groupe d’associations (Association des amis du pays, association contre le terrorisme, …) dénonçant la justice partielle, niant le génocide, allant même jusqu’à comparer les mots « justice » et « violence politique ». En réponse à ces intimidations et au martèlement du discours qui nie le génocide, les gens se sont rendus massivement à l’audience ce matin-là, pour assister à ce qu’on peut nommer un véritable « show » de la part de la défense.

Dans un nouvel et ultime acte visant à interrompre le procès, les avocats de la défense se sont déclarés en « résistance pacifique face au simulacre de justice » que promeut le tribunal de sentence présidé par la juge Jazmín Barrios, et ont abandonné la salle d’audience sous les applaudissements des partisans de la défense. Les deux généraux accusés, Efraín Ríos Montt et Mauricio Rodríguez Sánchez s’étant retrouvés dans l’incapacité d’assurer leur défense, l’audience a été suspendue. Mais ce que tout le monde attendait cet après-midi-là, était la résolution de la juge Carol Patricia Flores sur un recours présenté devant la Cour Constitutionnelle (CC) par la défense, relatif à l´acceptation des preuves à décharge. La CC avait déjà reconnu (le 3 avril dernier) la nécessaire acceptation des témoins et experts de la défense, tout en interdisant le retour à l´étape préliminaire de présentation des preuves. Par ailleurs, la juge Barrios avait concédé la prise en compte des demandes de la défense au cours du débat oral, se mettant ainsi en conformité avec les conclusions de la CC. Cependant, la juge Flores, dans son interprétation des dispositions de la résolution de la CC, a ordonné l´annulation simple et immédiate du débat oral et public afin de revenir à l’étape de présentation des preuves. Edgar Pérez Archila l’avocat de l’Association justice et réconciliation (AJR), partie civile dans ce procès, a protesté contre cette résolution, en rappelant à la juge l’attente de plus de 30 ans qu’ont endurée les victimes et survivants des massacres pour accéder à la justice, en violation des fondements du droit international.

Cette décision a bouleversé tout le mouvement social, en l’espace de quelques minutes les commentaires fusaient sur les réseaux sociaux – jouant un rôle essentiel dans la diffusion de toute l’information sur le procès - les réunions se succédaient entre l’équipe juridique et les témoins, les organisations de protection aux défenseurs des droits humains et les organisations d’accompagnement international. Imaginer que tous les témoignages et les expertises présentés devant le tribunal, qui prouvaient sans l’ombre d’un doute l’existence d’un génocide, n’était plus valables, était juste impensable.

Très vite tout le monde s’est mobilisé sur le parvis des droits de l’Homme pour une veillée, bougies et œillets rouges, la voix du peuple Ixil réclamant la justice et la poursuite du procès. Les enfants des disparus regroupés dans l’association HIJOS, brandissaient une immense toile noire avec le mot impunité inscrit en rouge. Pamela Yates, réalisatrice de documentaires américaine (auteure de Cuando las montañas tiemblan et Granito : how to nail a dictator) qui avait interviewé le général Rìos Montt au plus fort des massacres dans la région ixil et dont le matériel fait partie des preuves à charge, était aussi présente avec son équipe de tournage.

Au même moment la procureure générale, Claudia Paz y Paz, donnait une conférence de presse, entourée du procureur des droits humains Orlando López (représentant du Ministère Public au procès) et du magistrat de la Cour Constitutionnelle Mauro Chacón. La procureure a affirmé que le Ministère Public userait de toutes les dispositions légales pour laisser sans effet la résolution de la juge Flores. Chacón, pour sa part, a souligné que la résolution de la CC ne visait en aucun cas l´annulation du procès et que la juge avait outrepassé les dispositions de la CC dans sa résolution.

Plusieurs organisations internationales dépendantes de l’ONU comme la CICIG et l’OACNUDH, l’Union européenne, Impunity Watch, ... ont appelé à la modération et au respect de l’indépendance judiciaire et ont manifesté leur préoccupation face à la polarisation qui entoure le procès, et aux déclarations publiques menaçant du retour de la violence politique et de la guerre idéologique. 

C’est donc sur une note d’espoir que s’est terminée cette journée si éprouvante émotionnellement. Il flottait à la fin de la veillée comme un parfum de résistance, le besoin humain instinctif de dénoncer, de raconter, de crier pour la justice et de s´indigner.

Ce vendredi 19 avril matin, malgré l’incertitude causée par les retournements de situations, la Juge Barrios entre d’un pas déterminé dans une salle remplie comme au premier jour. Le public s’assied immédiatement, suspendu aux déclarations qui allaient déterminer les suites du procès. La Juge entame la lecture de la résolution adoptée tard dans la nuit par le tribunal. Dans une litanie désormais bien connue pour ceux qui suivent le procès depuis 21 jours déjà, la juge rappelle les principes de justice : « Les magistrats et juges sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions, les fonctionnaires sont dépositaires de l’autorité et sont soumis à la loi et en aucun cas supérieurs à elle, aucun fonctionnaire, civil ou militaire n’est obligé d’exécuter des directives manifestement illégales ». Elle explique ensuite que le tribunal exigeant l’annulation du procès ne dispose pas de cette autorité, qu’aucune institution publique n’est supérieure à la loi, que ladite résolution porte atteinte à l’indépendance judiciaire de son tribunal, et que pour toutes ces raisons, le tribunal n’accepte pas la résolution. De plus, Barrios précise que sur le fond, la résolution de la juge Flores vient contredire les dispositions de la CC du 3 avril dernier ainsi formulées :

« Cette Cour rappelle les antécédents, que les moyens probatoires refusés à la défense peuvent parfaitement être diligentés au sein du débat oral sans nuire au début du procès, ou le ramener à des étapes déjà instruites, situation qui serait illégale. »

La juge a ensuite lu la résolution unanime du tribunal, qui rejette toute possibilité d’annuler le procès en cours sur des motifs illégaux. Le débat est suspendu dans l’attente que la CC statue sur le caractère illégal de la résolution de la juge Flores.

A partir de ce moment-là, il est difficile de décrire la vague de soulagement et de joie qui a emporté le public, aux cris de « JUSTICIA  » ou « SI, HUBO GENOCIDIO », scandant « TODOS SOMOS IXILES », les juges sont restés debout devant cette ovation, sans l’interrompre pendant de longues minutes, finalement la présidente du tribunal est intervenue « nous vous remercions pour la confiance que vous manifestez pour le système de justice , et nous vous rappelons qu’il reste seulement six témoins à écouter et qu’a posteriori viendra la phase des conclusions. » La juge, Jazmín Barrios, est le visage de la justice que le Guatemala mérite, elle abandonne la salle dans un tonnerre d’applaudissements.

Reportage photo sur le site Mimundo :
http://www.mimundo.org/2013/04/20/2013-04-19-on-day-21-the-genocide-trials-fate-rests-on-the-constitutional-court/


Suivez le procès sur le site internet du Collectif Guatemala : www.collectifguatemala.org