Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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Rencontre avec Ghislain Picard de l’APNQL

publiée le 26/09/2011 par CSIA-Nitassinan

Le 12 juin 2010 au CICP, nous avons eu l’opportunité de nous entretenir, en petit comité, avec Ghislain Picard, président de l’APNQL [1]. Il était accompagné de Mélanie Vincent 2) et de délégués du GITPA 3) et de Kolektivox 4), que nous côtoyons depuis longtemps et avec lesquels nous avons évoqué le chemin parcouru dans les instances internationales pour la reconnaissance du droit des peuples autochtones. Dont La Déclaration des droits des peuples autochtones, élaborée au sein de l’ONU par les autochtones eux-mêmes et ratifiée par plus de 100 pays, mais que le Canada persiste toujours à ne pas signer. Avec la patience et la modération qui le caractérisent, Ghislain Picard a abordé différents sujets et répondu à nos questions

Ghislain Picard est chef régional de l’APNQL depuis 1992. Réélu en janvier dernier pour un nouveau mandat de trois ans, il se définit plutôt comme un secrétaire de l’ONU que comme un chef des chefs. L’APNQL, créée en 1985, représente un collectif des chefs des communautés. Son objectif : faire avancer leurs revendications et que celles-ci soient incontournables pour les instances gouvernementales. Au préalable, il a été le représentant des Innu à l’ONU de 1989 à 1991. Il a pris part aux audiences du tribunal Bertrand Russel pour dénoncer les violations des droits des Innu en 1991. En 1975, sa communauté a été tierce partie non signataire lors des accords conclus entre les Cri de la Baie James et le gouvernement canadien.
Le chef innu s’était rendu préalablement à Metz pour l’inauguration d’un jardin des Premières Nations. Il était accompagné du chef héréditaire algonquin Dominique Rankin. Ce projet, baptisé Ohtehra ("racines"en Huron-Wendat) et développé en partenariat avec le jardin botanique de Montréal, est au cœur des Jardins fruitiers de la petite ville de Laquenexy. C’est le premier jardin amérindien en Europe.

Barrage routier à Schefferville
Depuis le 11 juin, près de Schefferville, un barrage routier bloque l’accès aux sites miniers de Labrador Iron Mines et de New Millennium, situés sur les terres des communautés innu. Il est tenu par les membres des communautés autochtones de Matimekush-Lac John et d’Uashat mak Mani Utenam, qui veulent dénoncer les projets de développement minier passant outre les droits des populations locales. En effet, aucun accord n’ayant jamais été signé, les Innu ont conservé leurs droits sur l’usage qui est fait de leurs terres ancestrales. En l’occurrence, ils n’ont pas donné leur accord pour l’exploitation de leur terre et ne bénéficient même pas des retombés économiques générées par cette exploitation.
Cette situation a malheureusement un goût de déjà vu. Après 35 ans (de 1947 à 1982) d’exploitation du minerai de fer à Schefferville, la compagnie américaine Iron Ore Compagny of Canada a abandonné le site devant la révolte des Amérindiens, qui travaillaient à la journée suivant le bon vouloir des employeurs, laissant un paysage lunaire sur cette partie du territoire innu : exploitation minière à ciel ouvert et machines abandonnées encore présentes à ce jour. La pollution de la terre est effective et de nombreux cas de leucémie se sont déclarés chez les autochtones. La compagnie a fait détruire l’hôpital, l’école et d’autres lieux publics créés pour les cadres et les employés de la compagnie... Les Amérindiens n’ont pu sauver que la salle des sports en se mobilisant devant les engins de démolition.
On comprend d’autant mieux leurs réticences à la réouverture de mines sur leur territoire. Ils veulent un accord entre leur gouvernement autochtone et les compagnies minières, comme cela s’est fait dans d’autres territoires, ce qui est novateur car les mines reconnaissent la légitimité des gouvernements autochtones, un vrai partenariat existe, où la communauté est actrice, l’entente porte sur l’exploration et non sur l’exploitation.
En dépit de son combat contre les convoitises et les abus suscités par les richesses naturelles du territoire, Ghislain Picard concède la nécessité, en tant que chef, d’intégrer dans sa politique autant le droit à la terre et le respect de la culture que les opportunités économiques indispensables à l’avenir des communautés. Ce développement se doit cependant, nous a-t-il rappelé, d’être un développement durable compatible avec les valeurs autochtones.

Penser à l’avenir
Au Québec, les autochtones demandent des moyens mais pas seulement des moyens financiers, et ils veulent être traités au même niveau que les États ou les provinces pour imposer leurs mesures, notamment en termes de développement durable, forêt boréale, etc.
50 % de la population des communautés a moins de 25 ans, les responsables sont donc obligés de penser à l’avenir. Leur concept de l’économie, en cherchant à éviter la création de deux couches sociales, les riches et les pauvres, comme dans les pays occidentaux, est très proche de l’économie traditionnelle.
Ghislain Picard nous a donné l’exemple des communautés de Kitigan Zibi et d’Essipit. La première pour son essor industriel et sa capacité à attirer des sociétés autochtones et non autochtones sur son territoire, ce qui crée de l’emploi dans le respect des valeurs autochtones. La deuxième pour l’éducation : c’est la communauté qui paie les hautes études. En échange, les diplômés doivent revenir enseigner leur savoir dans la communauté pendant quelques années. Au Canada, c’est la province qui décide des programmes et du temps consacré aux matières et, là encore, les communautés doivent se faire entendre pour obtenir l’enseignement des traditions amérindiennes dans les écoles provinciales et fédérales qui sont installées dans les réserves.
À côté de ces exemples, d’autres communautés sont dans le désespoir : sans électricité, sans eau courante, avec de nombreux suicides. Les valeurs identitaires et l’estime de soi sont perdues et il est difficile de se les réapproprier. Les excuses du Premier Ministre canadien concernant les pensionnats (Cf. Lettre n° 41 p. 1-2) n’ont aucune valeur si elles ne sont pas suivies de mesures concrètes en faveur des communautés. Or, à ce jour, rien n’a suivi. Livrées à elles-mêmes, les communautés doivent s’en sortir seules. Les Amérindiens exigent que le gouvernement canadien et les Occidentaux reconnaissent l’importance des bouleversements qu’ils ont subis si rapidement au siècle dernier. Ils veulent s’émanciper de ce cadre des États et revenir aux valeurs locales, se prendre en charge eux-mêmes, avec leur façon de voir les choses. Les communautés doivent avoir la main et être partie prenante de leur avenir. La jeunesse amérindienne, d’ailleurs, revendique aujourd’hui son appartenance à la Nation indienne et est fière de l’être, ce qui n’était pas le cas des générations des années 1930 /60, qui cachaient leur identité. Cette fierté retrouvée est un grand signe d’espoir pour l’avenir.

Matthieu Bernard et Max Meynier
in Lettre de Nitassinan, n°50 - CSIA-Nitassinan

2) Membre de la communauté huronne-wendat (Wendake), Mélanie Vincent œuvre depuis plus de dix années au service des Premières Nations du Québec. Elle a notamment été directrice du Forum socioéconomique des Premières Nations qui a eu lieu à Mashteuiatsh en 2006.
3) Groupe International de Travail sur les Peuples Autochtones.
4) Collectif libre de solidarité avec le peuple mapuche du Chili.

Notes

[1Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador.