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INVITATION DES FEMMES ZAPATISTES À LA DEUXIÈME RENCONTRE INTERNATIONALE DE FEMMES EN LUTTE du 26 au 29 décembre 2019 au Caracol de Morelia, Chiapas

publiée le 22/10/2019 par CSIA-Nitassinan

INVITATION À LA DEUXIÈME RENCONTRE INTERNATIONALE DE FEMMES EN LUTTE.

SEPTEMBRE 2019

Aux femmes qui luttent partout dans le monde,

Sœur, compañera, femme qui lutte,

Nous te saluons en tant que femmes que nous sommes, en tant que femmes indigènes et zapatistes,

Tu te souviens sûrement que, lors de la Première Rencontre que nous avons faite, nous avons pris pour accord que nous devions rester vivantes. Mais il est clair que le massacre et la disparition des femmes continuent. De tous les âges et de toutes les conditions sociales. Ils nous assassinent et nous font disparaître parce que nous sommes des femmes. Et en plus, ils disent encore que c’est notre faute, que c’est parce que nous nous habillons comme nous nous habillons, parce que nous marchons là où nous marchons, à telle heure et en tel lieu. Et donc, chez les mauvais gouvernements, il ne manque jamais une remarque stupide d’un homme ou d’une femme, peu importe, pour laisser entendre que donc nous ne devons plus sortir. Selon leur pensée donc, les femmes doivent rester enfermées chez elles, elles ne doivent pas sortir, elles ne doivent pas étudier, ni travailler, ni s’amuser, elles ne doivent pas être libres.

Et donc on voit clairement que le système capitaliste et patriarcal est comme un juge qui dit que nous sommes coupables d’être nées femmes et que donc nous devons être punies pour ce délit par la violence, la mort ou la disparition.

Il est difficile, sœur et compañera, de mettre des mots sur cette cruauté qui est si grande qu’on ne peut la nommer. Maintenant on parle de « féminicide », mais peu importe le mot, on voit que ça ne change rien. Les disparitions et les assassinats de femmes continuent.

Et ensuite nos familles, nos amies, nos proches doivent encore lutter pour ne pas que l’on nous tue ou qu’on nous fasse disparaître une nouvelle fois quand on ne punit pas les coupables, qu’on dit que nous n’avons pas eu de chance ou, pire encore, que nous l’avons bien cherché.

Pardonne-nous, sœur et compañera, mais tout ceci est vraiment stupide. Nous devons déjà lutter contre la discrimination à la maison, dans la rue, à l’école, au travail, dans les transports, avec nos proches et les inconnus, et, le comble, c’est qu’on dit encore que c’est nous qui cherchons à mourir. Et pire qu’à mourir : qu’on nous viole, qu’on nous assassine, qu’on nous découpe en morceaux, qu’on nous fasse disparaître.

Ceux qui disent ça sont des machistes ou des femmes avec des pensées machistes.

Alors, compañera, sœur, puisque nous avions décidé ensemble lors de la Première Rencontre de rester en vie, nous nous devons de rendre des comptes de ce que nous avons fait et de ce que nous n’avons pas fait pour que cet accord soit respecté.

C’est pour cela que nous vous invitons à cette Deuxième Rencontre internationale des femmes qui luttent, avec pour seul thème : la violence contre les femmes.

Et ce thème sera divisé en deux parties : la première sera de dénonciation, et dans la seconde, il s’agira de voir ce que nous allons faire pour arrêter le massacre qu’ils commettent contre nous.

Et donc c’est à cela que nous t’invitons, sœur et compañera, à nous réunir, pour exprimer toute notre rage et dire clairement tout ce qui est fait contre nous partout.
Car nous voyons comment ils mettent en pièces nos douleurs : une violée d’un côté, une frappée de l’autre, une disparue par ici, une assassinée par là.

Ils font comme ça pour que nous pensions que c’est le problème d’une autre femme ailleurs, que ça ne va pas nous arriver à nous, que ce n’est pas si grave, que les mauvais gouvernement vont trouver une solution.

Mais nous voyons qu’il n’en va pas ainsi ; que oui, ça va nous arriver à nous ou à l’une de nos proches ; que oui, c’est grave, très grave, et que les mauvais gouvernements ne font rien. Ils ne feront que des déclarations pour dire que les coupables seront poursuivis, et pas les assassins, ni les violeurs, ni les ravisseurs, mais les femmes qui dans leur rage cassent des vitrines ou peignent des graffitis sur une statue.

C’est ça le système capitaliste patriarcal, sœur et compañera ; il en va ainsi : une vitrine ou un mur égratigné vaut plus que la vie d’une femme.

Et ça, ça ne peut vraiment pas continuer.

Regarde, nous voulons te parler d’une époque, il y a des années, avant notre soulèvement et le début de la guerre contre l’oubli, ici dans les plantations, un poulet valait plus que la vie d’une femme indigène. Difficile à croire ? Eh bien si, c’est ce que disaient les grands propriétaires. Maintenant, c’est encore pire pour les femmes que nous sommes puisqu’ils pleurnichent et se scandalisent pour une vitre et un tag qui dit la vérité.

Et la vérité, ce n’est pas seulement qu’on nous viole, qu’on nous assassine et qu’on nous fait disparaître. Ça oui, c’est vrai, mais la vérité c’est aussi que nous n’allons pas faire comme s’il ne se passait rien, en restant bien gentilles et obéissantes.
Ils nous attaquent tellement qu’on dirait que c’est devenu un business du système.

S’il y a plus de femmes assassinées, disparues, violées ou violentées, alors il y a plus de bénéfices. C’est peut-être pour ça que cette guerre contre les femmes ne s’arrête pas. Comment expliquer sinon que, chaque jour et partout, des femmes soient portées disparues ou assassinées, et que le système continue comme ça, tranquillement, content, ne se préoccupant que de ses comptes bancaires ?

Il se peut soudain que, si nous sommes toujours vivantes, si nous ne sommes pas violentées, le business soit alors ruiné. Il faudrait aussi analyser si, en même temps qu’augmentent le nombre de femmes violentées dans le monde, les bénéfices des grands capitalistes n’augmentent pas. Tant de femmes frappées, disparues, assassinées équivaudrait à tant de millions de dollars ou d’euros ou de n’importe quelle autre monnaie.

Car nous savons bien que le système n’écoute que ce qui affecte ses bénéfices. Et nous savons bien aussi que le système fait des bénéfices sur les destructions et les guerres. Alors nous pensons que les violences et les morts qu’on nous impose sont des bénéfices pour le capitaliste. Et que nos vies, nos libertés, notre tranquillité sont des pertes d’argent pour le système.

Alors nous voulons que tu viennes et que tu dises clairement ce que tu veux dénoncer. Non pas pour qu’un juge ou un policier ou un journaliste l’écoute, mais pour qu’une autre femme, d’autres femmes, beaucoup de femmes qui luttent l’écoutent. Et ainsi, sœur et compañera, ta douleur ne sera pas seule, elle s’unira avec d’autres douleurs. Et de tant de douleurs qui s’unissent, il n’en sortira pas qu’une douleur plus grande, mais il sortira une rage qui sera comme une graine. Et si cette graine pousse en s’organisant alors la douleur et la rage se feront résistance et rébellion, comme nous disons par ici. Nous arrêterons alors d’attendre que la tragédie nous touche ou ne nous touche pas, et nous nous mettrons à faire quelque chose, d’abord pour arrêter cette violence contre nous, et ensuite pour conquérir notre liberté en tant que femmes que nous sommes.

Car c’est ça l’expérience de notre histoire en tant que femmes, en tant que paysannes, en tant qu’indigènes et en tant que zapatistes.

Personne ne va obtenir pour nous la paix, la liberté, la justice. Nous devons lutter, sœur et compañera, lutter et les arracher à celui qui a le pouvoir.

C’est pour cela que l’invitation au thème de la violence contre les femmes n’est pas faite seulement pour dénoncer, mais aussi pour dire ce qui se fait ou ce qui s’est fait, ou qui peut se faire afin d’arrêter ces crimes.

Nous le savons, car nous avons entendu et nous avons vu dans tes participations lors de la Première Rencontre, qu’il y a beaucoup de manières et de formes de lutter en tant que femmes que nous sommes. Nous savons que certaines disent que leur manière est la meilleure et que la forme ou la manière des autres ne sert à rien, et bien d’autres choses se sont dites. C’est bien si on en discute, même si nous n’arrivons à aucun accord.

Mais le problème que nous avons vu, nous zapatistes, c’est que pour pouvoir discuter et nous disputer pour savoir qui est la plus féministe, et bien tout d’abord nous devons être vivantes. Et pour le moment, ils nous tuent et nous font disparaître.

Alors l’invitation à cette rencontre est consacrée à un seul thème : la violence contre les femmes. Avec deux parties : dénonciation et propositions pour mettre fin à cette guerre.

Il ne s’agit pas d’arriver pas à un accord pour lutter toutes de la même manière, car chacune a ses manières, ses géographies et ses moments. Mais il s’agit d’écouter les différentes formes, ça nous donnera des idées de comment faire, et selon ce que nous verrons, ce qui nous est utile et ce qui ne l’est pas.

Le système veut seulement que nous criions de douleur, de désespoir, d’angoisse et d’impuissance.

Aujourd’hui nous devons crier ensemble mais crier de rage, de colère, d’indignation. Et pas chacune de son côté, en petits morceaux comme ils le font pour nous violer, nous tuer, nous faire disparaitre. C’est ensemble que nous devons crier, bien que chacune en son temps, en son lieu et à sa manière.

Et d’un coup, compañera et sœur, peut être que nous apprendrons non seulement à crier de rage, mais aussi que nous trouverons la manière, le lieu et le temps pour crier un monde nouveau.

Rends-toi compte, sœur et compañera, les choses sont telles que pour pouvoir être vivantes, nous devons créer un autre monde. Le système en est arrivé au point où nous devons le tuer une bonne fois pour toutes si nous voulons vivre. Il ne s’agit pas de l’arranger un petit peu, de lui faire un joli visage ou de lui demander de bien se comporter, qu’il ne soit pas si mauvais, qu’il n’exagère pas. Non. Il faut le détruire, le tuer, le faire disparaitre, qu’il n’en reste rien, ni même des cendres. C’est comme ça que nous, nous le voyons, compañera et sœur, soit c’est le système, soit c’est nous. C’est le système qui a imposé ça, et non pas nous, en tant femmes que nous sommes.

Voici les dates auxquelles nous t’invitons. Le 26 décembre 2019 sera le jour de l’arrivée. Les journées des 27, 28 et 29 décembre 2019 sont les jours durant lesquels nous nous rencontrerons, parlerons et écouterons. Et le même 29 aura lieu la clôture.

Le lieu, ce sera le Semillero que désormais nous allons appeler « Traces des pas de la Commandante Ramona », au Caracol « Tourbillon de nos paroles », dans la zone Tzots Choj (dans la communauté de Morelia, municipe autonome et rebelle zapatiste « 17 novembre »), dans le même lieu où s’est tenu la Première Rencontre.

L’arrivée se fera directement au Caracol, on y donnera les badges et le programme, et de là, les compañeras chauffeuses t’amèneront au Semillero où aucun homme ne sera admis, même si ce sont des hommes bons, réglos ou quoiqu’ils soient. C’est-à-dire qu’ils ne pourront même plus jeter un oeil ni voir de loin notre réunion, car le Semillero est protégé par des montagnes.

Les hommes pourront rester dans le Caracol et attendre pendant que nous nous réunirons en tant que femmes que nous sommes, mais seulement s’ils viennent accompagnés par une femme qui s’engage et se porte garante qu’il ne fasse pas de bêtise. Nous dirons que ce lieu est « mixte », c’est-à-dire que tant les hommes que les femmes qui les acceptent pourront y être.

Dans ce lieu où pourront rester les hommes, parfois, peut-être, une commission de femmes zapatistes viendra du lieu de la rencontre pour leur raconter ce qui est en train d’être dénoncé dans le Semillero. Pour qu’ils le sachent, quoi. Et qu’ils aient un peu honte, et pour qu’ils aillent alors le raconter à d’autres hommes, et qu’ils leur disent le principal : que nous n’allons pas attendre qu’ils comprennent, qu’ils se comportent bien ou qu’ils arrêtent leurs conneries, mais que nous allons nous organiser pour nous défendre d’abord et ensuite pour tout changer, tout, TOUT.

Une autre chose que nous vous disons, compañera et sœur, c’est que nous avons revu ce que nous avions mal fait lors de la Première Rencontre. Et c’est pour cela que nous voulons le faire dans le même lieu afin de voir si nous pouvons corriger nos erreurs.

Et aussi que nous avons vu dans le registre et la programmation de la Première Rencontre qu’ont été favorisées celles qui pensent pareil que les personnes qui se sont chargées d’aider à faire ce registre et cette programmation. C’est-à-dire qu’il y a des activités qui n’ont pas eu lieu et des femmes qui n’ont pas participé, car celles qui pensaient pareil ont été favorisées et lorsqu’on a voulu faire entrer les autres dans le programme, il n’y avait plus de temps ou d’espace pour le faire.

Alors pour que cela ne se reproduise pas, pour qu’aucune femme ne vale plus que les autres, nous, en tant que femmes indigènes zapatistes, nous allons tout faire depuis le début, c’est-à-dire tout depuis l’inscription et le programme.

Nous ne l’avons jamais fait, mais nous n’avions jamais non plus été chauffeuses et vous voyez bien que nous avons appris. Alors, peut être que nous nous en sortirons mal et que nous n’arrangerons pas correctement les choses et que le programme ne sera pas parfait, mais ce sera parce que nous sommes en train d’apprendre et non parce que certaines nous paraissent sympas parce qu’elles pensent comme nous et que d’autres ne nous reviennent pas pour une quelconque raison.

Nous sommes donc en train de nous organiser et de nous répartir le travail pour que tout soit totalement organisé par nous-mêmes. Ainsi, quand tu enverras ton mail (nous te dirons plus tard à quelle adresse écrire et quand commenceront les inscriptions), tu sauras que c’est l’une d’entre nous, femmes indigènes zapatistes, qui ouvrira ton mail, et marquera ton nom et ton organisation, groupe ou collectif, si tu en as, ou si tu viens de manière individuelle, et nous te répondrons quelque chose pour que tu saches que nous avons noté ton nom sur la liste. Et si ton message dit que tu vas faire quelque chose, nous le mettrons dans le programme. C’est pour cela que nous te demandons que lorsque tu t’inscriras, tu le fasses en langue espagnole, car nous, notre langue est d’origine maya et nous connaissons un peu l’espagnol, mais les autres langues du monde nous ne les connaissons pas. Et si nous nous trompons et que nous n’écrivons pas pas bien ton nom, il n’y a pas de problème car quand tu arriveras ici, tu pourras t’inscrire et nous te donnerons un badge de la Seconde Rencontre internationale des femmes en lutte.

Bon, tu connais déjà le lieu et la date. Comme ça, tu peux t’organiser pour venir ou envoyer quelqu’un ou charger quelqu’un de te raconter comment ça s’est passé et ce que nous avons dit. Et ainsi, bien que tu sois loin, tu sauras que notre devoir en tant que femmes qui luttent c’est que ne s’éteigne pas la petite lumière que nous t’avons donnée. Car parfois, elle ne sert pas seulement à nous éclairer, parfois elle sert aussi à brûler le maudit système capitaliste patriarcal.

Et bien, c’est tout pour le moment, sœur et compañera. Nous te dirons bientôt à quelle adresse écrire et quand commencent les inscriptions. Mais tu sais déjà le plus important : ce sont les journées des 26, 27, 28 et 29 décembre 2019 et c’est au même endroit que la Première Rencontre, c’est de là que nous t’écrivons ces paroles et que nous t’envoyons une accolade, c’est-à-dire…

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain,

Coordinatrices des Femmes Zapatistes pour la Seconde Rencontre Internationale de Femmes en Lutte :

Zone Forêt-Frontière :

Marisol, Yeni, Mirella, Neri, Yojari, Arlen, Erica, Mariana, Mayder, Cleyde, Evelin, Alejandra, Nayeli

Zone Altos du Chiapas :

Yessica, Zenaida, Lucía, Teresa, Fabiola, Flor, Gabriela, Lidia, Fernanda, Carla, Ofelia

Zone Forêt-Tzeltale :

Dalia, Rosalinda, Marina, Carolina, Alejandra, Laura, Ana, Cecilia, Julia, Estefanía, Olga, Eloisa

Zone Tsots Choj :

Gabriela, Elizabeth I, Maydelí I, Elizabeth II, Guadalupe, Leydi, Lauriana
Aliz, Ángeles, Maydelí II, Karina, Jhanilet, Fabiola, Mariela, Daniela, Yadira, Yolanda, Marbella, Elena, Elissa

Zone Nord du Chiapas :

Diana, Ximena, Kelsy, Jessica, Ana María, Marina, Valentina, Yadira, Elizabeth

Mexique, septembre 2019.

Source : Enlace zapatista

traduction collective