Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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[CHIAPAS] De passage par San Patricio

publiée le 08/02/2012 par CSIA-Nitassinan

Mexique-Chiapas-Zona norte

San Patricio, communauté autonome zapatiste. Septembre 2011, les
paramilitaires issus des communautés voisines d’Unión Hidalgo, Ostelucum
et El Porvenir tentent d’expulser les compañeros zapatistes de leurs
terres. Le Conseil de bon gouvernement « Nueva semilla que va a producir »
dénonce cette situation et lance un appel à la solidarité. La « Red contra
la represión-Chiapas » organise alors, dès le mois d’octobre, des brigades
d’observation et de solidarité.

En ce mois de janvier 2012, nous formons avec deux autres mexicains, la 9e
brigade à San Patricio.

San Patricio, base de soutien zapatiste, est situé sur le territoire de
Roberto Barrios, Caracol[1] V "Que habla para todos" dans la zone Chol[2].
La communauté autonome plantée sur les bords de la rivière Sabanilla, fait
partie du MAREZ[3], La Dignidad. Il s’agit de terres récupérées lors de
l’insurrection de 1994. Les zapatistes s’y sont installés en tant que
communauté en 1996. Dès sa création, la communauté a subi des agressions
de la part des groupes paramilitaires, notamment Paz y Justicia. La
résistance pour préserver ces terres récupérées sur la propriété d’un
grand éleveur, constitue la mise en application du célèbre cri "Tierra y
Libertad" d’Emiliano Zapata. Avoir une terre pour obtenir sa liberté. Ici,
la terre n’a pas d’autre vocation que de nourrir ceux qui la travaillent.
L’ensemble des parcelles a été distribué pour que chaque famille puisse
planter sa milpa[4]. D’autre part, la communauté possède collectivement
une quarantaine de têtes de bétail.

Depuis quelques années, une des stratégies contre-insurrectionnelle du
gouvernement consiste à verser des aides sociales à toute personne qui
quitterait l’organisation zapatiste. Auparavant, aucune de ces aides
n’existaient et aucun des gouverneurs ne s’intéressaient à la situation
des communautés indigènes. Cette stratégie a pour objectif de diviser les
communautés et d’affaiblir la résistance. À San Patricio, les premières
familles ont commencé à quitter l’organisation au début des années 2000.
Les compañeros disent qu’ils se font acheter "pour un kilo de merde".
Aujourd’hui, il reste dix-huit familles zapatistes dans la communauté.
Dans la résistance plus que le nombre, c’est la qualité des compañeros qui
compte. Celles et ceux qui restent zapatistes ont bien l’intention de
garder ce qu’ils ont obtenus par la lutte. D’ailleurs, le gouvernement ne
se contente pas des aides sociales pour diviser les communautés. La
violence et la peur font également partie de leur stratégie. Les groupes
paramilitaires, bien qu’ayant changé de nom, continuent leurs exactions.
En septembre 2011, la communauté a subi une nouvelle attaque. Les
paramilitaires sont descendus jusqu’à la Casa Grande, maison de l’ancien
grand propriétaire, sans réussir à pénétrer au centre de la communauté.
Les milpas ont été pillées et saccagées, les animaux domestiques abattus.
Il n’était alors plus possible d’aller travailler aux champs. Les
frijoles[5], aliments de base avec le maïs, n’ont pas pu être semés. La
communauté ne pourra donc pas en récolter durant une année entière.

S’il semble que l’ordre d’un massacre n’avait pas été donné, cette
tentative d’invasion pose de nombreux problèmes à la communauté dont
l’économie est basée sur l’auto-subsistance.
Pour décrire et dénoncer cette agression, il a fallu financer le
déplacement jusqu’au Caracol de Roberto Barrios en vendant quelques bêtes
du troupeau collectif. Le Conseil de bon gouvernement a alors rendu public
cette invasion et organisé la solidarité avec San Patricio. Les
communautés zapatistes environnantes ont envoyé maïs et frijoles. La milpa
collective du MAREZ La Dignidad a été implantée sur les terres de San
Patricio. Ainsi, tous les compañeros de la Commune autonome viennent y
travailler à tour de rôle. Il s’agit d’une démonstration de force pour
signifier aux paramilitaires que les compañeros de San Patricio ne sont
pas seuls.

Par ailleurs, la « Red contra la represión-Chiapas » a répondu
favorablement à la demande du Conseil de bon gouvernement concernant
l’envoi de brigades d’observation et de solidarité. C’est dans ce cadre
que nous partons avec deux autres compañeros du collectif "Miserables
Libertarios" pour le Caracol de Roberto Barrios avant de rejoindre la
communauté de San Patricio.

Brigade 9 à San Patricio.

Au creux de la nuit, quitter doucement le Caracol. Ne pas attendre le
lever du jour. Six heures de route nous attendent. La brume joue avec les
montagnes. Le paysage est incroyable. On a presque envie de ne jamais
s’arrêter. Au bout de quelques heures, on traverse le dernier village,
Sabanilla. La route devient piste. On pourrait croire qu’on va trouver le
bout du monde. Une rivière, couleur gris argenté, serpente au milieu des
montagnes. Après plus de trente minutes de soubresauts, on arrive à la
communauté. Une église. Quelques maisons de bois et de tôle. Une
tienda[6]. Au centre, un terrain de foot. Une école. Des enfants qui
courent pour nous accueillir. Des rires. Des questions qui fusent. Des
poules qui caquettent. Des cochons qui reniflent. Premiers bruits et
premières visions de San Patricio. Comme une promesse de bonheur.
La brigade 8 et le responsable de la communauté nous accueillent et nous
informent des quinze jours qui viennent de passer. Apparemment, les
menaces se précisent. La nuit du 1er janvier, date importante pour tout
zapatiste, a été une nuit de tension et de garde due à des rumeurs
d’invasion. Finalement, l’attaque n’a pas eu lieu mais la date du 10
janvier aurait été évoquée. Malgré la quiétude du lieu, le sourire des
enfants, la guerre n’est pas loin et la violence semble bien réelle. Notre
campement est au centre de la communauté. Au centre de la vie. Les
enfants viennent dessiner. Les hommes viennent discuter, jouer aux cartes.
Certains prennent la guitare pour chanter des chansons zapatistes. De
vrais moments de convivialité se tissent, des petits bouts d’humanité pour
faire reculer la peur. Malgré une apparente décontraction, la vigilance
est de rigueur.

Dès le jeudi, l’assemblée décide de reprendre les gardes de 20 heures à 3
heures du matin. Notre brigade s’associe à ces gardes de 22 heures au
petit jour. L’objectif est d’observer tous les mouvements autour d’Unión
Hidalgo, Ostelucum et El Porvenir, communautés de paramilitaires.
Répertorier toutes les lumières qui descendent de la montagne en face, de
l’autre côté de la rivière. Noter tous les bruits suspects, les tirs
possibles. Écouter le silence, scruter le ciel, ne pas se laisser
déconcentrer par les étoiles insolentes. Les compañeros vont par groupe de
deux. Ils marchent dans la communauté. Silencieusement. Avec des lampes.
Qu’ils allument au moindre bruit. Ils sont attentifs. L’oreille aux
aguets. Prêts à défendre leur terre, leur famille. Pour que leur rêve de
liberté ne soit pas fouler par des barbares. Au petit matin, la vie
reprend son cours. Les menaces se dissolvent dans la vie quotidienne...
jusqu’à la prochaine nuit.

Les compañeros partent travailler à la milpa. Certaines sont près de la
rivière. Il suffit de marcher une demi-heure. D’autres sont en hauteur en
direction de Moyos. Il faut alors monter presque une heure et parfois
plus.

La milpa c’est le cœur d’une famille. Son moyen de vivre dignement. On y
sème essentiellement des frijoles et du maïs. Le long du chemin, on coupe
de la leña[7] pour la cuisine. Parfois, on cueille des bananes, des
citrons. Ici, la nature est belle et généreuse. Le travail de la terre
pour ces compañeros est un acte vital. Comme un acte d’amour.
À San Patricio, le travail ne sert pas à gagner de l’argent. Il permet de
produire son alimentation dans la dignité et la résistance. Ils ne sont
plus les pauvres péons d’autrefois attachés à vie à un domaine. Esclave de
la cupidité d’un maître tout puissant. Aujourd’hui, grâce à leur lutte,
ils sont devenus leur propre maître. Ils peuvent manger à leur faim,
nourrir leurs enfants, vivre en collectif, lutter, rêver à un monde plus
juste loin des tractations d’un gouvernement corrompu. Malgré les menaces,
malgré la peur des exactions, la communauté s’affiche comme heureuse. Les
enfants courent. Montent aux arbres. Jouent au foot. Se cachent.
Trébuchent. Pleurent. Rient à nouveau. Une enfance normale qui veut le
temps d’un jeu, le temps d’une dernière course oublier les agressions
possibles. Se mettre à l’écart de l’injustice du monde des adultes.

Les communautés zapatistes ont développé une éducation autonome. Pour eux,
l’éducation du Mal Gobierno[8] formate les enfants, interdisant tout sens
critique. À l’opposé des objectifs d’une école autonome. À San Patricio,
trois prometteurs d’éducation se répartissent les enfants en trois
niveaux. Les petits, les moyens et les grands jusqu’à 12-13 ans. Ici, on
apprend bien-sûr à lire et à écrire mais on apprend aussi l’Histoire de la
révolution mexicaine. On découvre Zapata pour mieux expliquer la filiation
avec les zapatistes modernes. Leurs parents. Leurs cousins. Leur tante.
Mieux saisir comment est naît leur communauté. À partir de quelles luttes
et quelles résistances. Dans quelle douleur. Dans quelle souffrance.
Fortifier la mémoire pour donner du sens à leur histoire, à leur
quotidien.

L’école autonome part aussi de leur besoin. Ils apprennent les plantes,
mais pas uniquement dans les livres. Les enfants possèdent collectivement
leur milpa. Ils apprennent ensemble à semer, à récolter, à égrener le
maïs. Une éducation au plus près de leur vie réelle. Loin des académismes
scolaires. Une éducation pour qu’ils deviennent des êtres pensants au
service de leur communauté.

En ce début d’année 2012, la communauté vit au rythme des Promesas.
Cérémonie religieuse qui rappelle le « prometemos resistir » d’une vieille
chanson de la guerre d’Espagne. Les compañeros demandent à Dieu de
préserver la famille, la maison, la milpa, la communauté. Il s’agit
également de s’encourager dans la dure réalité de la lutte. Croire dans la
force de la communauté autant que dans celle de Dieu.
Cinq heures du matin. La nuit est encore noire. Une dizaine d’hommes se
rendent à l’église autonome zapatiste. Assis sur des bancs, ils discutent
en Chol. Se taisent. Au bout d’un moment, ils se lèvent. Ils prient.
D’abord debout puis à genoux pour finir face contre terre. Ils finissent
en embrassant la terre en signe de croix. Le silence est dense, palpable.
Tout le monde se rassoit. Certains s’allongent sur les bancs. Après deux
nuits de garde, la fatigue commence à se faire sentir. Dehors, il pleut
des cordes.

Au bout d’une heure, tout le monde se dirige, des bougies à la main, vers
la maison d’un compañero. On rentre dans l’unique pièce. On attend une
accalmie. Dès que le ciel paraît plus clément, les hommes sortent et
disposent les bougies aux quatre coins de la maison, sous un abri fait de
feuilles de bananier. Une vieille casserole sert d’encensoir. Chacun dit à
voix haute sa prière. De l’encens est réparti de part et d’autre des
bougies. La fumée retient les mots : mal gobierno, paramilitares. Ils
s’encouragent à poursuivre la lutte, à renforcer la communauté. Ils
aspirent à vivre en paix. Ils demandent aussi de bonnes récoltes, de la
santé pour leur famille. À la fin, de l’alcool est jeté au sol. On rentre
à nouveau dans la maison. Les guitaristes jouent quelques chansons. À même
le sol, le compañero dispose un cierge au centre de la pièce ainsi que six
petites bougies de couleur. Le tout forme une croix.
Chacune est allumée dans un ordre précis et par une personne différente.
Comme un honneur. En tant que voisin, en tant que compañero... Tout
autour, ils versent du café, du pozol[9], de la soupe. Leur alimentation
quotidienne. À la fin, ils jettent un verre d’alcool en l’air puis chacun
prend un petit verre comme une offrande. Juste quelques gouttes pour ne
pas déroger au principe de la loi sèche. On sent toute la force de la
communauté. Le moment est fort. Émouvant. Ils nous offrent un moment de
leur vie. De leurs doutes, de leurs peurs et de leurs espoirs. On est au
plus près d’eux. Avec eux. Pour couronner ce moment unique, les femmes
arrivent avec une marmite fumante. Une soupe au poulet et piments. Le tout
arrosé de soda. On est bien avec ces hommes et ces femmes qui luttent et
qui vibrent pour leur communauté. Tout en simplicité. Tout en dignité.

San Patricio, une expérience pratique de lutte bien ancrée dans la réalité
zapatiste. Une communauté qui se construit pas à pas. Une communauté qui
pense l’autonomie tant sur le plan de l’auto-subsistance, du vivre
ensemble, que de l’éducation. Une communauté en résistance qui construit
un monde de dignité et de justice. Sans relâche.

Patxi y Vero

Notes :

[1] Le territoire zapatiste est administré par 5 Caracoles.
Caracol I - Madre de los caracoles del mar de nuestros sueños - La Realidad
Caracol II - Resistencia y rebeldia por la humanidad - Oventik
Caracol III - Resistencia hacia un nuevo amanecer - La Garrucha
Caracol IV - Torbellino de nuestras palabras - Morelia
Caracol V - El Caracol que habla para todos - Roberto Barrios

[2] Groupe indigène du nord du Chiapas.

[3] Municipio Autonomo Rebelde Zapatista, Commune autonome rebelle zapatiste.

[4] Terre cultivée pour l’autoconsommation, essentiellement du maïs et des
haricots.

[5] Haricots rouges

[6] Petite boutique

[7] Bois de chauffe qui permet de cuisiner.

[8] Mauvais gouvernement, comprend le gouvernement fédéral, étatique et
municipal

[9] Boisson à base de maïs moulu.

http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=887