Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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San Juan Copala : Les Triquis autonomes veulent rentrer chez eux

publiée le 14/02/2012 par CSIA-Nitassinan

À présent ils reviennent aux rues, ou plutôt aux routes de montagne
d’Oaxaca, les compañeras et compañeros expulsés à coups de fusil de la
Commune autonome de San Juan Copala le 27 septembre 2010. Après quinze
jours de frustrantes et trompeuses négociations, le gouvernement de Gabino
Cué ne s’est pas montré disposé à tenir sa promesse de garantir un retour
sûr à leurs foyers. Alors les déplacés triquis ont annoncé une
marche-caravane de quelque 130 kilomètres pour le mardi 7 février, depuis
Yucudaá jusqu’à la ville d’Oaxaca, pour amener devant le forum de
l’opinion publique leurs revendications de justice sociale.

Ils veulent rentrer chez eux. Ils veulent la justice. Ils veulent vivre en
paix.

La compañera Carmen interpelle plusieurs fonctionnaires du gouvernement de
Gabino Cué à Yosoyuxi (Oaxaca), la nuit du 4 février : "Nous, nous avons
supporté un an et demi au campement dans la ville d’Oaxaca. Et vous,
qu’est-ce que vous avez fait ? Vous n’avez rien fait… Et qu’est-ce qui est
arrivé à Antonio Cruz Pájaro ? Vous l’avez attrapé ? Vous avez enfermé les
assassins ? En réalité vous les avez protégés… Nous n’avons pas pu rentrer
à San Juan Copala. Quel besoin avons-nous de subir ça ? Nous n’avons pas
besoin de souffrir de la faim, du froid, et d’être hors de notre village,
de nos maisons, du lieu qui nous appartient… Mais vous n’arriverez pas à
nous effrayer ou à nous intimider. Nous, nous allons continuer. Nous
allons rentrer à San Juan Copala quoi qu’il en coûte. Ici, personne ne va
dire le contraire. Pourquoi ? Parce que rentrer, c’est pour nous une
obligation. Pourquoi ? Parce que nous sommes originaires de là-bas… Nous,
ce qu’on veut, c’est la justice et le retour à San Juan Copala."

Je suis arrivée en camion à la communauté de Yosoyuxi, à 6 kilomètres de
San Juan Copala, avec une vingtaine de membres du secteur ouvrier de La
Otra Campaña, des gens indépendants et de médias libres, et des femmes et
des enfants triquis du campement de Mexico le jeudi 2 février. Nous avons
eu un peu de retard parce que nous avons éclaté un pneu près de Cuautla,
mais nous avons réussi à réveiller un monsieur à une heure du matin, et
celui-ci, aimablement, nous a changé le pneu ; pendant ce temps, certains
dormaient ou bavardaient et nous étions quelques-uns à profiter du
spectacle d’un joli coucher de lune rouge.

Quelques compañeros et compañeras avaient participé au précédent essai de
revenir à Copala, prévu à l’origine pour le 20 janvier, et commencé le 26
janvier. Après une forte campagne médiatique qui criminalisait les
militants solidaires comme "des gens de l’extérieur qui viennent exciter",
David Venegas a été arrêté le 29 janvier pour crime de solidarité, ce qui
était un prétexte pour empêcher l’entrée des déplacés à San Juan Copala.

Nous sommes arrivés au milieu de nouvelles négociations avec le
gouvernement dans la ville d’Oaxaca sur les mesures de précaution pour
garantir un retour sûr qui, cette fois-ci, serait graduel. Comme on ne
capte pas internet à Yosoyuxi et qu’on avait déterminé que ce n’était pas
une bonne idée que d’aller à un autre village pour chercher des nouvelles
vu la situation tendue dans la zone, nous avons passé deux jours à bloquer
la route, à attendre des informations, à bavarder avec les gens pour mieux
connaître la situation et à manger de succulents tamales, du pozole et
d’autres sortes de ragouts bien piquants que nous ont offerts les femmes
de la communauté.

Yosoyuxi est jolie, une communauté entourée de montagnes verdoyantes, avec
de l’eau en abondance. On voit des champs de maïs et des carrés de haricot
rouge, de tomate, de piment et de radis noir ; et des arbres fruitiers :
oranges, oranges amères, bananes. Parfois, ce qui semble être du citron
est de l’orange amère, tandis que ce qui a l’air d’une mandarine est un
autre fruit. Jusqu’à un certain point, l’économie est d’autosuffisance,
mais il y a beaucoup de manques. Il faut passer par l’argent pour acheter
de quoi satisfaire les besoins de base. Il y a l’électricité et l’eau
potable dans la communauté, une école primaire et un centre de santé, mais
le médecin ne passe que tous les mois ou tous les deux mois. On dit que
beaucoup de personnes partent travailler en ville, et qu’il y a beaucoup
de migration vers le nord du pays et les États-Unis. Avec un peu de
chance, un migrant peut envoyer assez d’argent pour construire une maison
ou acheter un véhicule, mais s’il est capturé sans papiers et renvoyé chez
lui, la famille entière est endettée jusqu’à ce que soient payés les
"coyotes" [passeurs, NdT] et d’autres prêts.

On entend fréquemment le nom de Timo. Pendant des années, Timoteo
Alejandro Ramírez a été de ceux qui ont fortement impulsé la Commune
autonome de San Juan Copala et des projets d’autogestion à Yosoyuxi. Il a
été assassiné par balles et à la machette par des paramilitaires le 20 mai
2010, aux côtés de son épouse Cleriberta Castro, laissant dix orphelins et
un héritage de résistance.

Un total de 40 orphelins est l’un des produits de la répression contre les
autonomes de Copala. Plusieurs d’entre eux se trouvent parmi les petits
garçons et les petites filles qui donnent de la vie à la communauté de
Yosoyuxi, devenue un nouveau bastion pour les déplacés après qu’ils eurent
levé le campement dans les couloirs du Palais du gouvernement à Oaxaca
juste avant Noël. Ils courent, ils inventent des jeux, ils aident à
différentes tâches, et participent avec une grande énergie aux
protestations, comme on le voit sur cette vidéo du 29 janvier :

Le vendredi 3 février, les porte-parole actuels des déplacés, Marcos
Albino et Reyna Martínez, sont arrivés d’Oaxaca pour faire part de ce qui
s’était passé au cours des dernières négociations. Cué avait signé un
accord qui a permis à un groupe de dix déplacées d’entrer à San Juan
Copala pour parler avec les gens qui à présent y vivent et inspecter leurs
maisons, avec la possibilité que 25 personnes puissent rentrer ce jour-là,
suivies par des groupes successifs de 25 chaque jour. Dans les
conversations à Yosoyuxi a été signalé un piège dans l’accord, car la
décision sur le retour serait entre les mains des gens qui actuellement
contrôlent Copala. D’autres étaient d’avis que c’était une avancée que le
gouvernement ait signé quelque chose, et qu’en ayant des gens installés à
Copala, les déplacés ne dépendraient plus des accords internationaux qui
mettent des années à se conclure. Certains se berçaient de la promesse de
protection contenue dans les mesures de précaution, tandis que d’autres
étaient plus sceptiques.

Un compañero qui avait vécu à Copala toute sa vie et qui avait assisté à
l’électrification de la zone par Lázaro Cárdenas dans les années 1960 (1)
nous a raconté son rêve de rentrer dans son foyer, d’ouvrir une boutique
et de participer à des projets pour faire progresser la communauté.
D’autres étaient en train de faire leurs valises.

À 9 heures du matin le samedi 4 février, un groupe de neuf femmes et un
homme attendait les véhicules du gouvernement qui devaient les emmener à
San Juan Copala. Une centaine de personnes de la communauté, avec les
"solidaires" à qui l’entrée était interdite, attendaient sur la route. Les
véhicules sont arrivés à 9 h 45, et la rencontre devait commencer à 10
heures à la présidence communale, connue aussi comme "l’Agence".

Le soleil se couchait quand les femmes et Marcos sont revenus au point de
départ. Les espoirs se sont évanouis aussitôt que les femmes ont commencé
à raconter ce qui s’était passé. La soi-disant assemblée a été présidée
par Antonio Cruz Merino, fils d’Antonio Cruz García alias Toño Pajaro, le
chef de l’Ubisort responsable de l’expulsion à coups de fusil des
autonomes de San Juan Copala, entre autres délits ; Alberta Martínez de
Jesús, l’épouse de Julio César Martinez Morales, auteur direct de la mort
de Jyri Jaakkola et Beatriz Cariño ; et Belén Cruz Merino, fille d’Antonio
Cruz García, entre autres paramilitaires de l’Ubisort. Ont participé à
l’assemblée plus de 200 personnes, dont la grande majorité n’était même
pas de San Juan Copala : c’est le MULT qui les a convoyés depuis les
communautés de Rastrojo, Ladera, Coyuchi, Río Metates et Ojo de Agua,
entre autres.

Une compañera a commenté : "J’avais planté un oranger avant qu’ils nous
chassent de Copala il y a un an et demi. Aujourd’hui, j’ai vu qu’il donne
des fruits, mais ce n’est pas pour nous, c’est pour ceux qui à présent
contrôlent la communauté. Ça m’a rendue très triste."

Une autre compañera a dit : "Ils cherchaient après nos porte-parole. Ils
ont d’abord accusé Marcos de porter un pistolet. Nous lui avons dit :
’Marcos, vas-y, pour qu’ils te fouillent.’ Quand il a enlevé sa veste, on
a bien vu qu’il portait seulement sa radio et un appareil photo. Ils en
avaient aussi après Reyna. Ils l’accusent d’avoir tué Anastasio [le
violent pistolero de l’Ubisort, Anastasio Juárez, NdA] en juillet 2010, et
ils disent qu’elle ne peut pas rentrer à Copala."

Une autre a ajouté : "Nous, nous exigeons qu’ils mettent la main sur Toño
Pájaro. Tant qu’il sera libre, nous ne pourrons pas rentrer à Copala en
toute sécurité. Mais eux, ils exigent l’amnistie pour tous les assassins
paramilitaires avant d’accepter que nous rentrions chez nous."

Et une autre encore a conclu : "Ce foutu gouvernement veut les voix du
MULT parce qu’eux, ils sont nombreux, et nous nous ne sommes qu’une
poignée."

Pendant plusieurs heures, une centaine de personnes s’est rassemblée
autour d’une petite télé, pour regarder une vidéo de toute "l’assemblée".

Le dimanche 5 février s’est tenue une assemblée qui a décidé de répondre
immédiatement à la collusion du gouvernement de Gabino Cué avec les
paramilitaires qui contrôlent actuellement Copala par une longue
marche-caravane depuis la déviation de Yukudaá, sur la route
Huajapan-Tlaxiaco, jusqu’à la ville d’Oaxaca.

La compañera Ernestina a expliqué ce qui s’était passé à San Juan Copala :

"Quand nous sommes arrivés, il y avait plus de deux cents personnes, des
femmes en majorité, là, dans le couloir de l’Agence. Une quinzaine
peut-être étaient de là, de San Juan Copala, et les autres, ils les
avaient amenés d’autres villages. Ils ne savaient rien des problèmes que
nous avions eu là-bas.

"Ceux qui commandaient, c’étaient des femmes de l’Ubisort, des parents de
l’assassin Toño Pájaro, et aussi son fils.

"Le gouvernement avait signé un accord qui disait que 25 familles
pourraient rentrer à partir d’aujourd’hui, et ensuite d’autres groupes de
25. Nous sommes 110 familles déplacées. Mais ceux qui commandent là-bas
n’ont pas respecté l’accord, et le gouvernement n’a rien fait. Ils ont
dit : ’Non, vous, vous ne pouvez pas rentrer comme ça dans ce village.’
Qui sont-ils donc, pour nous donner la permission de rentrer dans nos
propres maisons ?

"Ensuite, ils s’en sont pris directement à Reyna. La femme de l’assassin
Julio César a dit : ’Toi, Reyna, nous ne voulons pas de toi ici, tu nous
as fait trop de mal. Nous ne voulons même pas voir ta tête.’

"Ils ont dit que le reste d’entre nous pouvait rentrer, mais seulement
deux familles tous les quinze jours. Ça, nous ne l’acceptons pas, parce
que ça serait trop dangereux. Nous savons bien qui ils sont et ce qu’ils
nous ont fait. Les compañeras, les compañeros, les enfants et les
vieillards, ils nous ont tous chassés à coups de fusil. Moi, les femmes de
l’Ubisort ont essayé de me tuer dans ma propre maison. Nous ne pouvions
plus sortir même un tout petit peu dans la rue, parce qu’ils nous tiraient
dessus comme si nous étions des bottes de paille. Grâce à Dieu, nous
allons bien, mais d’autres compañeros, ils les ont tués ou blessés, et
d’autres compañeras, ils les ont violées.

"Mais ils disent qu’ils n’ont pas fait ça, que c’est nous qui leur avons
fait du mal à eux. Et après ça, Antonio Cruz Merino nous dit : ’Frères,
sœurs, s’il vous plaît. Il n’y a aucune raison que vous n’ayez pas
confiance en nous, parce que nous n’allons rien vous faire. Le passé,
c’est le passé. Mais maintenant, nous allons de l’avant. Nous allons
signer la paix.’ Mais nous savons bien que tout ce qu’il dit est faux.

"Ils ne nous ont pas laissés entrer dans nos maisons. Ils ont dit aussi
que nous ne pouvions pas entrer dans l’église, mais à la fin, nous y
sommes entrés. Nous sommes entrés aussi à l’école. C’est bien triste, ils
l’ont vraiment mal traitée. Le village entier est très négligé, pas comme
avant.

"À la fin, ils ont dit que cinq familles par semaine pouvaient rentrer,
mais nous n’avons rien signé. Nous n’avons pas dit oui, ni non, mais qu’il
fallait que nous nous concertions avec les nôtres. Maintenant, nous avons
pris la décision d’aller à pied à Oaxaca, et c’est ce que nous allons
faire.

"Ils n’ont pas réussi à me faire peur. Au contraire, ils nous insultent,
ils nous menacent, parce que c’est eux qui ont peur de nous. Pourquoi ?
Parce que nous avons élevé la voix. Nous avons ouvert les yeux. Nous ne
sommes plus les mêmes qu’avant."

Carolina S. Romero

(1) Il y a manifestement une erreur : Lázaro Cárdenas a été président du
Mexique de 1934 à 1940. Il n’avait plus le moindre mandat dans les années
1960. Sa politique plutôt "à gauche", et notamment la nationalisation du
pétrole, a laissé un souvenir attendri dans la population, ce qui explique
peut-être qu’on lui attribue tous les bienfaits, comme l’électrification…
(NdT).

Traduit par el Viejo.

http://www.lavoiedujaguar.net/Les-Triquis-autonomes-veulent-la


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