Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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San Salvador Atenco 6 ans après…

publiée le 09/05/2012 par CSIA-Nitassinan

« À Atenco : Nous pouvons réparer ce qui est cassé uniquement si nous
continuons à nous organiser »

Italia Méndez*

« Plan d’une extermination : écraser l’herbe, arracher depuis la racine
jusqu’à la dernière plante vivante, arroser la terre avec du sel. Après,
tuer la mémoire de l’herbe. Pour coloniser les consciences, pour les
supprimer ; pour les supprimer, les vider du passé. Annihiler tout
témoignage qui rappelle que dans la contrée il y a eu quelque chose de
plus que du silence, des prisons et des tombes. Il est interdit de s’en
souvenir… »
Eduardo Galeano

México. En 2002, avec la solidarité d’organisations et de collectifs, le
Front des Villages en Défense de la Terre (FPDT) a réussi à arrêter le
projet économique le plus ambitieux du mandat de Vicente Fox Quesada,
alors président du Mexique : la construction du nouvel aéroport
international de Mexico qui s’épandait sur 4.550 hectares de terres de
culture expropriées par le gouvernement fédéral au terrain communal de San
Salvador Atenco, avec une indemnisation de sept pesos (moins d’un euro)
par mètre carré.

La lutte des paysans du FPDT est devenue un exemple d’organisation et,
surtout, de victoire ; la légitimité de sa lutte, la capacité
d’organisation et la solidarité nationale et internationale ont été les
éléments clefs qui ont permis d’arrêter non seulement l’État et toutes ses
machines, mais aussi le capital, se traduisant par des centaines
d’entreprises qui se frottaient les mains en espérant obtenir de grands
bénéfices en pillant des biens communaux.

En 2006, naît l’Autre Campagne, un mouvement national qui rassemble des
milliers de personnes adhérentes à la Sixième Déclaration de la Forêt
Lacandone de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. Dans toute la
géographie du pays elle émerge comme une proposition organisationnelle qui
se confronte aux campagnes politiques des candidats à la logique
électorale, elle se dresse provocante et dangereuse pour le pouvoir.

C’est dans ce contexte que le 3 et 4 mai 2006, le terrorisme d’Etat s’est
abattu à Texcoco et à San Salvador Atenco. Par la répression politique, le
pouvoir a décidé de mettre fin au cheminement de l’Autre Campagne par le
sang et la prison. Tout a commencé par un conflit ciblé entre de petits
producteurs de fleurs et de légumes et les autorités municipales de
Texcoco, qui niait leur juste droit de travailler par la commercialisation
de leurs productions sur la voix publique. Le FPDT, toujours solidaire
avec d’autres luttes, accompagnait les producteurs et jouait le rôle
d’interlocuteur.

Le solde répressif : Javier Cortés Santiago et Alexis Benhumea assassinés
par la police, 207 personnes torturées et emprisonnées, des centaines de
perquisitions, cinq personnes d’autres pays – survivantes de la répression
– expulsées du pays, la persécution politique et judiciaire des membres du
FPDT, l’utilisation de la torture sexuelle contre nous, les femmes
détenues. La classe politique dans sa totalité a légitimé les faits de
diverses manières, il y a eu des applaudissements stridents et des
silences complices.

La répression politique a des buts très concrets qui peuvent expressément
se traduire par la désarticulation, par la terreur, de toute organisation
qui suppose une opposition aux intérêts de l’État et au pouvoir
économique. L’objectif principal consiste à empêcher les personnes
d’identifier les raisons que la répression poursuit, afin d’annuler la
capacité de défense et de confrontation.

L’utilisation de la torture sexuelle est un outil de contrôle social si
puissant que non seulement il affecte d’une manière directe les femmes
survivantes, mais aussi représente un impact chez la famille, les
collectifs ou les organisations et, naturellement, dans la société. Depuis
l’opération policière à Atenco, l’État a nié qu’il y a eu des femmes
torturées sexuellement. Face à des preuves irréfutables, il a insisté en
déclarant que ce qui était arrivé aux femmes sur le parcours vers la
prison de Santiaguito, à Toluca, État du Mexico, était le fait d’actes
isolés, accomplis par une paire de policiers qui étaient nerveux et qui
ont agi de leur propre chef. Alors que l’usage de ce mécanisme contre les
femmes a été employé pendant les deux jours de répression.

La préméditation, l’intentionnalité et l’impunité nous montrent que
l’utilisation de cet outil est mise en pratique à des moments très
concrets, en cherchant à soumettre l’”ennemi” par l’envoi d’un message
brutal à travers le corps des femmes. Les axes principaux de cet
instrument sont de générer de la culpabilité, de la stigmatisation et de
la peur.

Dans notre expérience, l’appui mutuel nous a permis d’éventrer les buts et
les axes de la torture sexuelle. Pendant que nous avons été toutes
ensemble dans la prison de Santiaguito, plusieurs de entre nous avons
décidé d’écrire nos témoignages. Nous avons choisi de transformer la
culpabilité et la honte en responsabilité et de mettre en évidence les
responsables. La revendication de nos corps, de nos visages et de nos noms
nous a permis de casser le silence. Nous savions que cela ne suffirait
pas, mais c’étaient nos premiers pas dans un chemin si long et sinueux qui
pourrait seulement être parcouru collectivement.

Le rôle de la dénonciation sociale, tant en 2006 qu’aujourd’hui, a été
fondamental. Lorsque nous étions isolées, c’étaient des morceaux de papier
nos moyens de communication, des centaines de voix ont été le haut-parleur
de nos paroles, les récits d’horreur sont devenus une valeur réparatrice :
l’innommable, l’inénarrable s’écoutait à haute voix, peu à peu on
dissipait le tabou qui suppose de parler de quelque chose de si intime. La
honte disparaissait. Nous refusons le rôle que les responsables nous
désignaient et nous avons géré la culpabilité et la peur à travers un
accompagnement psychologique et d’un travail collectif.

Face à la répression, d’innombrables mobilisations de protestations ont
été réalisées, et des efforts organisationnels se sont concentrés pour la
libération de prisonnières et de prisonniers. La peur coûtait des forces
et beaucoup de personnes se sont éloignées de la participation politique,
quelques groupes étaient désarticulés, le tissu social se déchirait. Le
message avait été envoyé : intimider la société à travers le châtiment
exemplaire de ceux et celles qui luttent, renforcé en cela par
l’implantation de l’impunité, la dilution de la responsabilité des
responsables, et l’imposition de l’idée que “rien ne peut être fait face
au pouvoir de l’État”.

Découvrir les portées de la répression a été réellement dévastateur.
Comment recomposer le tissu social ? Comment combattre la peur ? Comment
nous reconstruire ?

Certaines d’entre nous parions sur l’effort de rendre visible les outils
de contrôle social de l’État et de promouvoir les discussions autour de
cette problématique. Dans ce sens, nous avons lancé depuis l’été de 2008
“Une campagne contre la répression politique et la torture sexuelle”, en
cheminant main dans la main avec des organisations et des collectifs qui
ouvraient leurs espaces à ces réflexions, pour essayer d’éventrer les
effets qu’ils ont expérimentés de façon individuelle et collective.

Redimensionner les mécanismes répressifs nous permet de se placer dans un
rôle actif et avec la capacité de leur faire face sans abandonner nos
luttes et nos idéaux.

Les mécanismes répressifs sont configurés selon des stratégies définies
selon les effets que l’on cherche à provoquer dans la population, les
organisations et les individus. Lesdits mécanismes ne sont pas furtifs et
encore moins faits au hasard. La répression à San Salvador Atenco n’a pas
eu lieu par hasard : transformer une référence d’organisation, de
résistance et de victoire, en mort, torture et prison, met en évidence,
l’intérêt du Pouvoir de déformer notre perception, d’arrêter à tout prix
l’Autre Campagne et de tatouer dans notre peau le message de la défaite.

Après six ans de résistance nous continuons à construire la mémoire
collectivement, en cherchant une réparation non seulement de nous-mêmes,
mais aussi du tissu social, des organisations et des collectifs qui nous
accompagnent et en cherchant une justice, mais pas uniquement par la
juridictionnalisation de notre cas à travers des instruments
internationaux, puisque nous savons qu’à travers les institutions il n’y
aura pas de justice. Nous pouvons réparer ce qui est cassé uniquement si
nous continuons à nous organiser, en luttant pour l’autonomie et la
liberté.

Aujourd’hui, comme il y a six ans, les hommes politiques lancent leurs
campagnes électorales pleines de mensonges et de simulations. Aujourd’hui,
comme il y a six ans, nous insistons : notre lutte ne se borne pas aux
formes politiques d’en haut, nous continuons notre chemin sans nous
contenter du « moins pire ». L’idéal de liberté ne s’efface pas, malgré la
répression, nous sommes toujours debout.

*Agée de 27 ans, Bárbara Italia Méndez a été arrêtée le 4 mai 2006 au
matin dans une maison de San Salvador Atenco, dans l’État de Mexico, où
elle s’était réfugiée pour échapper à la police. Elle s’était rendue de
Mexico à San Salvador Atenco après avoir appris qu’un mineur avait été tué
et que des manifestations et des affrontements avec la police avaient eu
lieu.
Pendant le trajet jusqu’à la prison de Santiaguito près de Toluca, dans
l’État de Mexico, elle a dû enlever ses vêtements, a été passée à tabac,
menacée, a subi des agressions sexuelles et été violée à l’aide de
différents objets par des membres de la police.

Traduction, Les trois passants

Source en espagnol :
http://abajolosmuros.jimdo.com/2012/05/07/en-atenco-s%C3%B3lo-podemos-reparar-lo-roto-si-continuamos-organiz%C3%A1ndonos/

Pour voir la Chronologie des faits et l’exposition : ATENCO…Que s’est-il
passé ?
Cliquez ici :
http://liberonsles.wordpress.com/les-prisonniers-datenco/