Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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SALUT À DON JUAN CHÁVEZ ALONSO, VOIX REBELLE DU PEUPLE P’URÉPECHA

publiée le 06/06/2012 par CSIA-Nitassinan

Morelia, Michoacán, Mexique.
2 juin 2012.

Zapatiste depuis 1994 et jusqu’au dernier jour de sa vie, combattant
communautaire, référence indiscutable du mouvement indigène national,
acteur de la réappropriation de terres et de la mémoire historique,
promoteur de l’éducation indigène, travailleur migrant aux États-Unis à
plusieurs occasions, paysan, musicien et compositeur, poète sans écriture,
homme de la terre, don Juan Chávez Alonso est décédé ce samedi 2 juin des
suites d’un accident survenu chez lui, alors qu’il construisait un hangar.

Originaire de la communauté de Nurío, porte du plateau p’urépecha,
incorruptible et intraitable, bien que gouvernements et organisations
aient voulu se l’approprier, don Juan est resté fidèle à ses convictions
et aux principes de la lutte zapatiste depuis sa participation, en 1994, à
la Convention nationale démocratique (CND), convoquée par l’Armée
zapatiste de libération nationale (EZLN).

Après la CND, il participa d’avril 1995 à février 1996 à la première table
ronde du dialogue de San Andrés Sacamch’en de los Pobres réunissant l’EZLN
et le gouvernement fédéral, qui concernait les droits et la culture
indigènes. Pendant cette période, don Juan s’imposa en tant qu’autorité
morale et gagna immédiatement le respect de toute l’équipe des
conseillers, tant des représentants indigènes que des intellectuels et du
reste de ceux qui accompagnaient un processus de dialogue inédit dans le
monde. Plus tard, en octobre 1996, il joua un rôle clé dans la création du
Congrès national indigène (CNI), en compagnie de la commandante Ramona.

Autonomie "sans l’autorisation de quiconque"

Ayant constaté que l’ensemble de la classe politique ignorait les Accords
de San Andrés sur les droits et la culture indigènes, don Juan participa à
toutes les initiatives destinées à exiger leur respect ; parmi elles, la
marche des 1 111 zapatistes sur la ville de Mexico, la Consultation
nationale pour les droits des peuples indiens, la Marche de la couleur de
la terre, et enfin la mise en pratique de l’autonomie "sans l’autorisation
de quiconque", qui conduisit l’EZLN à organiser son territoire en cinq
Caracoles ; cette initiative trouva un écho à Nurío, le village de Juan,
communauté emblématique du mouvement indigène depuis qu’elle accueillit le
Troisième Congrès national indigène, auquel participèrent le commandement
général de l’EZLN et les représentants de plus de quarante peuples indiens
du pays.

En 2001, pendant la Marche de la couleur de la terre, don Juan fut un des
principaux orateurs devant Congrès de l’Union, aux côtés du commandement
général de l’EZLN.

Au cours de l’Autre Campagne, initiative lancée en janvier 2006, don Juan
reçut au Michoacán le sous-commandant Marcos et parcourut avec lui le nord
du pays. Postérieurement, il prit part à la concentration réalisée dans la
communauté d’El Mayor, avec le peuple cucapá, et à la Rencontre
continentale indigène de Vícam, État de Sonora.

Avant l’irruption du soulèvement zapatiste, il fit partie, entre 1987 et
1988, du Front démocratique national et lança le Mouvement indigène de la
nation p’urépecha, lequel, plus tard, s’écarta du chemin de l’autonomie et
établit des liens avec le gouvernement de l’État ; c’est pourquoi don Juan
le quitta et poursuivit sa tâche avec le CNI, réseau de peuples, tribus,
nations, villages et quartiers indiens du Mexique.

Fervent activiste pour la sauvegarde du savoir p’urépecha, il rêva et
établit les plans pour la construction d’une université indigène très
différente de celles qui ont été construites au Michoacán et dans d’autres
parties du pays.

À soixante et onze ans, Juan n’avait rien d’un combattant novice. Il n’y
avait pas que sa peau à être tannée ; en tant qu’autorité reconnue par son
peuple, il prit la tête de la récupération des terres que les petits
propriétaires de Paracho avaient enlevées à sa communauté. Plus tard, au
début des années 1980, il fut détenu par les autorités de l’État pour son
combat en défense de la terre, au prétexte qu’il armait sa communauté.

Don Juan apporta à sa communauté l’École secondaire technique 69, première
école à être construite dans un village p’urépecha, après la lutte et la
mobilisation de plus de cent communautés du plateau. Il est aussi à
l’origine de la création d’une auberge, d’un auditorium et d’un grand
domaine entouré de pins, tous mis en projet en 1981 pour, selon don Juan,
"l’organisation d’activités destinées à sauver la tradition et l’histoire
p’urépecha, telles que des cours, des rencontres de médecine
traditionnelle et d’agriculture biologique".

Ce lutteur p’urépecha voyagea aussi dans le monde entier pour faire
connaître les exigences des peuples indiens. En 2002, il fut reçu dans le
bureau du haut-commissaire des Nations unies pour les Droits humains, à
Genève, et, plusieurs années plus tard, il fit entendre sa parole dans des
villages paysans de France et dans divers espaces sociaux de Grèce et
d’Espagne.

Avec toujours son chapeau caractéristique, sa veste et sa gabardine, don
Juan fit une brève apparition, aux mois de décembre et janvier passés,
pendant les journées du séminaire "Planète Terre : mouvements
antisystémiques", tenu à San Cristóbal de Las Casas, dans le cadre de la
célébration du dix-huitième anniversaire du soulèvement de l’EZLN. Là, don
Juan Chávez s’excusa de ne pouvoir répondre à la question posée concernant
l’audience de l’EZLN au sein des mouvements antisystémiques émergents. "Il
faut m’excuser, je ne suis pas la personne la plus apte à parler de ces
thèmes. C’est pour ça que cet événement a été organisé, pour que ceux qui
sont en train d’organiser les nouvelles résistances partagent avec tous
leur expérience. Nous autres, pour notre part, avons été pas mal occupés à
travailler les champs, car nous pensons toujours que la lutte continue
lorsqu’on ensemence la terre."

La communauté nationale et internationale a déjà envoyé des messages de
solidarité à sa famille et au mouvement indigène qui vient de perdre un de
ses piliers. Sa dépouille sera veillée dans son Nurío natal, auprès des
siens. Il laisse son épouse, Celia Romero, sa mère, doña Francisca Alonso,
ses sept enfants et ses petits-enfants.

Gloria Muñoz Ramírez
"La Jornada", Mexico, 3 juin 2012.

Traduit par Silfax.

http://www.lavoiedujaguar.net/Salut-a-don-Juan-Chavez-Alonso

- Vidéo hommage de « desInformémonos » à Don Juan Chavez - Photos : collectifs et amis de Don Juan / Musique : “Tzacan” de don Juan Chávez :

- Vidéo « En Memoria a Juan Chavez Alonso... » (en espagnol)


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