Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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Dennis Banks, leader de l’AIM à Paris en compagnie du CSIA-Nitassinan

publiée le 20/03/2013 par CSIA-Nitassinan

Quelques jours après avoir participé aux célébrations du 40e anniversaire de l’occupation de Wounded Knee, sur la réserve de Pine Ridge, Dennis Banks, co-fondateur et dirigeant historique de l’American Indian Movement (AIM) est parti pour l’Europe, en compagnie de son fils Tatanka Banks, afin de participer en tant que juré au Tribunal Russell sur la Palestine, à Bruxelles. À cette occasion, il a passé quelques jours à Paris où, à sa demande, le CSIA-Nitassinan a organisé un programme chargé afin qu’il puisse témoigner de ses combats d’hier et d’aujourd’hui.

C’est début mars, avec l’hiver et une tempête de neige, que le CSIA-Nitassinan a retrouvé Dennis Banks, après de nombreuses années. Il avait décidé de passer quelques jours à Paris afin de revoir ses amis du CSIA-Nitassinan et rencontrer de nouveaux partenaires.

Grâce au CSIA-Nitassinan et à l’assistance de son amie Anne Basquin (venue spécialement d’Albertville pour l’accompagner dans ses déplacements), Dennis s’est rendu à plusieurs rendez-vous importants pendant son séjour. La première rencontre, dès son arrivée a été courte mais très symbolique. Le 13 mars dernier, Dennis Banks, leader charismatique de la lutte pour la survie des communautés amérindiennes d’Amérique du Nord a pu rencontrer brièvement, à la Maison de l’Amérique Latine, le président Evo Morales, lui aussi de passage éclair en France. Une rencontre qui rappelle le symbole de l’aigle rencontrant le condor, utilisé en 1992 pour la Campagne « 500 ans de résistance indigène, noire et populaire dans les Amériques ». Nous tenons à remercier tout particulièrement notre ami, Sergio Cacéres, représentant de l’Etat plurinational de Bolivie à l’UNESCO, pour nous avoir aidés à rendre possible cette rencontre.

Plus de 40 années de lutte

Le lendemain, Dennis et Tatanka ont été reçus par des officiels au siège de l’UNESCO afin de de témoigner de la force des programmes pour la préservation des cultures traditionnelles amérindiennes, gérés par les communautés autochtones elles-mêmes à travers les USA. Témoignage important d’une victoire significative de l’AIM contre les politiques d’assimilation et d’acculturation forcées, imposées dans les réserves par le gouvernement américain des années 1950 aux années 1970. Dennis a pris comme exemple principal les différents programmes de langue ojibway sur sa réserve de Leech Lake, dans le Minnesota. Il est heureux chaque fois qu’il peut le souligner, ses petits-enfants sont aujourd’hui de langue maternelle anishinabe et suivent leurs cours en immersion totale dans la langue autochtone. Lui qui a perdu l’usage de sa langue traditionnelle, ayant été victime de l’éducation des pensionnats indiens, est amusé de devoir demander à ses petits-enfants comment ont dit telle ou telle chose en langue anishinabe. Après l’UNESCO, Dennis Banks a rencontré Francis Geffard, dans les locaux d’Albin Michel. Ils ont pu se remémorer des souvenirs communs, notamment autour d’anecdotes avec Mary Brave Bird, Leonard Crow Dog, Richard Erdoes et tant d’autres... mais également discuter ensemble de plusieurs projets éditoriaux.

Le soir, Dennis et Tatanka ont participé à une réunion privée au Centre international de culture populaire avec plusieurs membres du CSIA. Une occasion de faire le point ensemble sur des campagnes de solidarité telles que celles pour la libération de Leonard Peltier, contre l’exploitation des sables bitumineux et la construction du pipeline Keystone XL, la mobilisation des communautés autochtones dans le mouvement Idle No More, etc. Dennis, qui était récemment au Brésil, a également souligné son envie de populariser et de développer la campagne de solidarité avec les communautés autochtones de ce pays contre la construction du barrage de Belo Monte. Cette rencontre chaleureuse, aux odeurs de sauge brûlée, a en outre donné lieu à un échange passionnant sur ce qui se passe actuellement à Pine Ridge (résurgence de l’AIM parmi les jeunes, célébrations des 40 ans de l’occupation de Wounded Knee, lutte contre la vente d’alcool à Whiteclay...), mais également sur le rôle et l’importance des associations de solidarité, tel le CSIA-Nitassinan, qui accompagnent les luttes autochtones depuis les années 1970.

Quelques mots avant de repartir

Dennis et Tatanka nous ont ensuite quittés pour aller participer en Belgique au rendu du Tribunal Russell. A leur retour, et juste avant qu’ils ne reprennent l’avion pour les USA, le CSIA-Nitassinan a organisé une rencontre publique, le 18 mars, à la Galerie Orenda, de notre amie Joëlle Rostrowski. Nous vous proposons un extrait de l’intervention de Dennis Banks ce soir là, publiée sur le site de Patricia Berline, Tribu Calumet :

« Le travail que nous avons fait avec le Tribunal Russell pour la Palestine m’a permis d’agrandir mon cercle de relations : j’ai pu rencontrer des ambassadeurs, des présidents et cela nous aide dans nos démarches. Nous voulons essayer d’étendre le travail de l’AIM, principalement vers l’Amérique du Sud. Je vais peut-être bientôt avoir une entrevue avec Raoni, bien connu en Europe. Je souhaite le rencontrer, ainsi que les différents représentants de sa communauté, tenir un conseil avec eux et pouvoir en ressortir quelque chose de constructif.

Je dois reprendre l’avion demain pour une autre conférence, et nous nous sommes dit qu’il serait dommage de ne pas organiser une petite réunion, via mes camarades et amis du CSIA-Nitassinan pendant ces quelques heures de passage à Paris pour parler de nos actions. Nous sommes contents que cela ait pu se faire et remercions chaleureusement Joêlle d’avoir ouvert sa galerie pour nous accueillir tous !

Pendant 45 ans, j’ai été le directeur national de L’AIM. Maintenant, je suis retourné sur ma réserve, j’ai d’autres activités. Je suis revenu à mes propres racines, mais je reste membre de l’AIM. Je veux, aujourd’hui, voyager dans le monde, partager d’autres luttes. À un moment de ma vie, j’ai séjourné en prison, j’aimerais y retourner pour voir si les conditions d’incarcération des prisonniers amérindiens sont différentes de celles que j’ai connues dans les années 70.

Enfant, comme beaucoup d’autres dans la réserve, j’ai été emmené dans des pensionnats militaires. Cela a été un moment très dur de ma vie. Et encore, j’ai eu de la chance, malgré ce qu’on a subi, de n’être pas emmené dans un pensionnat catholique comme beaucoup de mes frères et sœurs. Ces pensionnats n’étaient là que pour détruire notre culture. Le mien se trouvait à environ 500 kilomètres de ma réserve. Je m’en suis enfui de nombreuses fois. Ils m’ont rattrapé et j’ai subi de mauvais traitements en représailles. On m’a coupé les cheveux, on m’a battu, on m’a habillé avec une robe de fille pour me diminuer.

Après cette expérience traumatisante, je suis allé dans une école ordinaire, et j’ai voulu m’inscrire dans la classe de musique. Je suis allé voir le professeur, qui m’a donné des exercices, des portées et des leçons à apprendre. J’ai essayé d’apprendre le solfège, seulement je n’ai eu qu’une semaine pour tout faire, j’ai fait ce que j’ai pu, mais quand je suis revenu le voir, il a essayé de me faire passer pour un mauvais élève et s’est opposé à ce que je continue. Il m’a dit que je ne n’apprendrais jamais la musique mais, bien après, j’ai pu l’apprécier avec les chants traditionnels ojibwé. J’ai fait deux albums. Un plus traditionnel et le dernier, qui vient de sortir, Let Mother Earth, réalisé avec un musicien japonais, Kitaro. (...)

Un combat que nous ne lâcherons pas, c’est celui concernant notre militant Leonard Peltier, qui est dans sa 38ème année d’incarcération. Alors qu’aux États-Unis, lorsqu’on est condamné à la prison à vie, ça dure normalement 17 ans 8 mois et 23 jours, lui a été condamné deux fois à perpétuité. Il a fait beaucoup plus que ce qui était requis, de plus, il a eu quatre ans de remise de peine pour bonne conduite. À ce jour, il devrait être dehors avec nous. Si le bureau des libérations conditionnelles a refusé de lui accorder une grâce récemment, c’est parce qu’on lui demande d’exprimer des remords pour le crime qu’il a commis. Et comme il n’a pas commis ce crime, il ne veut pas en entendre parler.

Pendant 17 ans, la position du gouvernement est restée inflexible. Pour eux, Leonard Peltier a bien tué les agents du FBI à bout portant. Il a été condamné sur cette théorie. 17 ans après, le procureur qui l’avait condamné a admis qu’il lui était impossible de prouver sa culpabilité, tout juste une relative complicité. Nous avons cru qu’après ces déclarations, il retrouverait la liberté, mais il n’en a rien été !

Le sable bitumineux au Canada est un autre dossier dont nous voulons parler ce soir. Des contrées immenses sont détruites pour produire du pétrole à bas coût et à haute toxicité. Avec les techniques actuelles, il est impossible d’en faire du pétrole de bonne qualité. Pour le transporter, un énorme pipeline est construit et traversera les réserves du Canada et des États-Unis. Les traditionalistes, dont nous faisons partie, et les différentes communautés et réserves sont contre cette construction. Les gouvernements tribaux sont des marionnettes imposées par le gouvernement fédéral. Ils sont surtout intéressés par les fonds versés pour cette installation.

On est toujours dans la même opposition avec les gouvernements tribaux qui ont été imposés dans les années 20 après la réorganisation du système. Aujourd’hui, ces gouvernements ne vivent qu’avec l’argent fédéral et vendent nos droits. Nous, nous continuons la lutte pour nos droits, eux, ont le pouvoir, la police. C’est comme dans les années 70, quand le gouvernement avait donné des armes à une partie des Oglala de la réserve de Pine Ridge, les Goons, pour lutter contre nous. Ce n’est qu’après dix ans qu’ils ont reconnu avoir participé aux exactions. ».

Le lendemain, Dennis Banks et son fils Tatanka reprenaient l’avion pour les Etats-Unis, en nous disant juste un au revoir, espérant revenir bientôt à Paris afin de faire vivre ce lien d’amitié et de respect mutuels.

Sylvain DUEZ-ALESANDRINI
CSIA-Nitassinan et coordinateur du Groupe de soutien à Leonard Peltier en France, branche officielle du LPDOC

in Lettre de Nitassinan n°60/61

- Quelques photos de la rencontre au Centre international de culture populaire (CICP) entre des membres du CSIA-Nitassinan avec Tatanka et Dennis Banks (Paris, 14 mars 2013) (photos : Christine Prat et Théo) :

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