Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

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De passage par les "cafetales" zapatistes

publiée le 26/01/2012 par CSIA-Nitassinan

Mexique - Chiapas - Zone Altos

La coopérative zapatiste de caféiculteurs Yachil Xojobal Chulchan est
située sur le territoire du Caracol (1) II d’Oventik "Resistencia y
Rebeldia por la Humanidad". Cette coopérative est constituée de huit
municipios (2) des Altos : Chenalhó, Chalchihuitan, Pantelhó, Tenajapa,
Cancuc, Simojovel, El Bosque et Magdalena de la Paz.

Oventik, dans la résistance et la rébellion pour l’humanité

Depuis San Cristóbal de Las Casas, pour rejoindre le Caracol d’Oventik, la
route monte à travers la brume et les nuages vers le froid et l’humidité
des Altos. À l’entrée du Caracol, des peintures murales sur les façades
des habitations, un portail et deux gardes derrière des passe-montagnes.
Sur une fresque, un escargot s’exprime : "lentement, mais j’avance". Il
nous faudra une heure avant de pouvoir passer de l’autre côté. Nous sommes
venus à Oventik pour demander l’autorisation au conseil de bon
gouvernement, "Corazón Céntrico de los Zapatistas delante el Mundo" de
pouvoir accéder aux "cafetales" (3) zapatistes. Après une attente
certaine, nous sommes reçus. Les paroles du conseil de bon gouvernement
sont simples et sincères. Ils nous parlent de l’importance de la vente du
café pour les zapatistes. Il s’agit bien souvent du seul moyen de pouvoir
vivre tout en continuant de résister. Être zapatiste c’est refuser toute
aide du mauvais gouvernement. La vente du café est alors l’une des seules
possibilités d’obtenir de l’argent pour acheter des médicaments, des
vêtements, des tôles pour le toit des maisons...

Ils nous parlent également de la situation avant 1994, année du
soulèvement. Le café était alors acheté à un prix extrêmement bas.
L’insurrection du 1er janvier 1994 a permis de rechercher des formes
alternatives de commercialisation du café. Remplacer la loi des coyotes
(4) par des liens de solidarité notamment avec des groupes de soutien en
Europe et aux États-Unis. Sortir des règles du marché et s’organiser en
bas à gauche a permis d’augmenter et de stabiliser le prix du café pour
les producteurs. Cette amélioration de la situation contribue à l’avancée
du mouvement zapatiste, dans sa construction de l’autonomie. Lentement
mais toujours vers l’avant.

La coopérative Yatchil Xojobal Chulchan vend son café entre 75 et 86 pesos
le kilo aux groupes Mut Vitz 31, Americasol et Échanges solidaires en
France, Kinal Estocolmo et Gebena Cafe en Suisse, Cooperative Coffee
Americus aux États-Unis, Ya Basta en Italie, Café Libertad en Allemagne.

Municipio Autonomo Rebelde Zapatista - Marez - San Pedro Polhó

Du Caracol d’Oventik, nous partons pour le municipio autonome de San Pedro
Polhó, où se trouve l’entrepôt de la coopérative Yachil Xojobal Chulchan.
Nous traversons les villages de Chenalhó et Yabteclum pour arriver devant
une petite église bleue, ornée de peintures célébrant le mouvement
zapatiste. L’entrée du municipio est située juste à côté, un portail gardé
par une femme zapatiste derrière son passe-montagne.

Ce Marez s’est constitué en 1995. Son histoire est indissociable de la
violence paramilitaire qui s’implante dans la zone cette même année. Dès
1995, alors que les représentants du gouvernement mexicain sont assis à la
table des négociations de paix, l’armée mexicaine organise et entraîne des
groupes armés au sein même des communautés de la région. Cette stratégie
contre-insurrectionnelle est connue sous le nom de "guerre de basse
intensité". Les groupes paramilitaires agressent continuellement les
membres des communautés proches du mouvement zapatiste. Ils brûlent
maisons et récoltes, volent, violent, tuent.

L’État mexicain qualifie alors les violences de conflits intra et
intercommunautaire. Il dissimule ainsi ses responsabilités dans cette
guerre de harcèlement.

Dès le début de l’année 1997, la guerre de basse intensité prend de
l’ampleur. La peur s’installe dans les communautés zapatistes. Face à la
violence paramilitaire, quasiment neuf mille personnes vont se déplacer
dans le municipio autonome de San Pedro Polhó. La situation est alors
dramatique, les déplacés ont dû tout abandonner. Tout ce qu’ils
possédaient est resté derrière eux. Ils ne peuvent plus travailler leurs
terres au risque d’être tués. La nourriture vient à manquer. Les camps de
déplacés s’organisent mais bien souvent seules les bâches en plastique
servent d’abris dans une région où les pluies et le froid sont rigoureux.
La stratégie contre-insurrectionnelle culmine le 22 décembre 1997 avec le
massacre de quarante-cinq personnes, parmi lesquels des jeunes enfants, de
la société civile Las Abejas à Acteal.

Aujourd’hui encore, de nombreux déplacés vivent toujours dans le municipio
autonome de San Pedro Polhó. Sur les 780 membres de la coopérative Yachil
Xojobal Chulchan, 150 caféiculteurs vivent à Polhó.

La culture du café a notamment permis de construire des habitations en
bois, parfois en béton et d’acquérir des tôles pour les toits.
L’amélioration des conditions de vie est manifeste.

Depuis quelque temps, il semble que la situation se soit quelque peu
normalisée. Au-dessus des dernières habitations de Polhó, le camp
militaire de Majomut est toujours en activité. Toutefois, il n’y a presque
plus de barrages qui restreignent les déplacements. Les groupes
paramilitaires sont toujours présents dans les communautés environnantes,
mais les zapatistes déplacés ont pu à nouveau cultiver leurs terres. Cette
situation peut toutefois se détériorer à tout moment, si bien que la
grande majorité des déplacés ne retournent pas vivre dans leur communauté.
Ce déplacement forcé oblige les caféiculteurs à travailler des parcelles
éloignées de leur habitation, parfois à plus de deux heures de marche.
Mais le problème essentiel reste le manque de terres disponibles. Sur des
terres, généralement communales (5), chaque famille dispose d’une
parcelle. À la mort du chef de famille, la parcelle est alors divisée en
part égale entre tous les enfants. De génération en génération, cette
répartition a pour effet de diminuer la surface des parcelles. À terme,
les parcelles seront si petites qu’elles ne permettront plus à une famille
de vivre décemment. Face à cette situation, certains caféiculteurs ont
choisi de travailler collectivement. La parcelle n’est alors plus divisée
et le collectif continue de travailler une même surface. Une autre
solution est la récupération de terres appartenant aux grands
propriétaires. Cette dernière option n’a pas été retenue dans cette région
des Altos.

Avant de nous rendre dans les plantations de café, nous rejoignons le
nouvel entrepôt de la coopérative. Il est situé au croisement dit de
Majomut. Cette année, les municipios de Simojovel, El Bosque et Magdalena
de la Paz, anciennement membres de la coopérative Mut Vitz ont rejoint
Yachil Xojobal Chulchan. L’ancien local était trop petit pour stocker
l’ensemble du café produit. La coopérative a alors opté pour la
construction d’un nouvel entrepôt. Il devrait également permettre
l’installation de machines nécessaires à la dernière opération de tri
avant l’exportation. À ce jour, l’ultime sélection des grains de café est
réalisée dans une maquiladora (6) de Chiapa de Corzo.

Pour notre part, nous dormirons dans l’entrepôt sur des bancs et des sacs
de café, vides. Bien qu’il n’y ait toujours pas un seul grain de café
stocké, le bâtiment est gardé jour et nuit par des caféiculteurs qui se
relaient toutes les vingt-quatre heures. La situation n’est peut-être pas
si normalisée que ça...

En ce mois de décembre, les sacs de café peinent à se remplir car, ici
aussi, le changement climatique a des répercussions. Sur les hauteurs de
Polhó, le café est toujours vert et la récolte n’a pas vraiment commencé.
Il nous faudra aller sur des parcelles plus basses, sur les terres dites
tierra caliente pour trouver les cerises de café bien rouges. Les
compañeros de Yachil Xojobal Chulchan nous emmèneront dans les communautés
zapatistes de Guadalupe Las Laminas, Ocotal et Esmeralda sur le municipio
de Pantelhó.

Le cycle du café

Petit matin blême. Des hommes, des femmes et des enfants patientent pour
prendre le camion. On suit une piste qui va cahin-caha. Il est 6 h 30.
Tout le monde descend. Le soleil commence à pointer. L’équipe descend
presque jusqu’à la rivière. Chacun prend son panier. Les gestes sont sûrs.
Faits et refaits des milliers de fois. Les femmes restent entre elles. Les
plus jeunes gardent les bébés. Ici, toute la famille participe. Le travail
se fait à l’ombre de grands arbres plantés pour protéger les grains de
cafés. Heureusement car le soleil est déjà bien chaud.

Ici, les grains sont biens mûrs. Rouges presque pourpres. Les grains
tombent facilement dans le panier. Chaque panier plein est ensuite reversé
dans un grand sac plastique. En milieu de matinée, moment de pause. Les
femmes sortent les tortillas, les frijoles et le pozol. Moment de partage
à même le sol.

Au bout de quelques heures, les hommes commencent à remonter les sacs sur
leur dos. Il est 14 heures, la journée est loin d’être finie. La montée
est rude. L’effort est intense. Les sacs les plus lourds peuvent peser
jusqu’à 50 kilos. Ils n’utilisent pas d’animaux, trop cher et pas de
possibilité de pâturage. Et, sans se plaindre, ils montent. Obstinément.
Les femmes aussi portent des sacs peut-être un peu moins lourds et
encore... Les adolescents suivent l’exemple de leur père et montent aussi
les sacs. Ici, l’apprentissage se fait en direct. La transmission est
instantanée, les mains dans le café, les pieds bien arrimés à la terre.
Tout s’apprend dans les champs, par la parole et les gestes. Une
communauté qui se vit et qui se transmet par l’effort.

Un peu plus haut sur la rivière, des hommes s’activent pour mettre en
place la dépulpeuse, petite machine en fonte. Bien lourde. Qu’il a fallu
amener jusque-là. À même l’épaule. Là aussi l’effort est dense. Surhumain
selon nous. Quelques coups de machette plus tard, des troncs d’arbres qui
deviennent des pieds de table et la voici posée fièrement au milieu du
champ. D’autres préparent des grandes bassines d’eau pour commencer le
dépulpage. Il s’agit de retirer la peau rouge pour ne laisser que les deux
grains de café. En premier lieu, les grains sont versés dans la bassine.
Les mauvais grains flottent. Ils sont retirés immédiatement. Les grains
biens formés se déposent au fond de la bassine. Ils sont amenés à la
dépulpeuse. Là, un homme tourne une manivelle avec force. La peau est
broyée et recrachée par terre. Elle servira d’engrais pour la milpa (7).
Les bons grains sont déposés dans un sac et montés à même l’épaule.
D’autres montent les sacs directement à leur ferme et dépulpent à
domicile. Certains ont motorisé la dépulpeuse. Pour soulager les corps.
Juan nous a bien dit que sa journée est finie quand son corps est à bout.
Quand tous ses muscles ne sont plus que douleur et souffrance.

Par la suite, les grains sont déposés dans un bac pour fermenter durant
vingt-quatre. Il est plus de 20 h 30. La journée est enfin finie jusqu’au
lendemain. Pour cueillir à nouveau. Un cycle sans fin...

Au retour de la deuxième journée, les grains fermentés sont lavés en deux
fois. Paco, le paysan se met debout dans l’eau pour faire sortir l’eau
sale. Le travail est long. Minutieux. Tous ces gestes sont doux. Presque
comme une caresse. On le sent attentionné. Presque heureux malgré la
rudesse du labeur. En tout cas, Paco est indéniablement amoureux de sa
terre. Tout son corps exprime la dignité, l’humilité du paysan face à la
nature.

Pendant ce temps-là, son fils joue au cerf-volant. Un autre gratte une
guitare dans un coin. Une vie quotidienne, tout en simplicité. Une
communauté solidaire, qui travaille pour vivre dignement.

Au petit matin, face au soleil qui brille, ils tamisent le café pour
sortir les mauvais grains. Chaque grain est examiné. Dans chaque
opération, le mauvais grain est traqué. Et pourtant, à chaque fois, il en
reste encore et toujours.

Esmeralada, petite communauté posée au fin fond d’une vallée dans un décor
majestueux entre rivières et montagnes. Ici, les zapatistes sont
minoritaires. Pablo nous fait découvrir le procédé du séchage. Toute la
famille participe à cette tâche. Dans les patios. Sur les toits terrasses,
le café s’offre au soleil pendant quatre ou cinq jours. Un nouveau tri
permet enfin de sortir le grain de café propre, appelé pergamino. Il sera
ensuite mis dans des sacs en toile de jute, plus chers à l’achat mais qui
permettent de mieux faire respirer le café. Yachil Xojobal Chulchan achète
ce café pergamino aux différents membres de la coopérative et l’expédie
dans une maquiladora pour un dernier tri des grains en fonction de leur
taille. Ce café oro est alors celui qui prendra la direction du port de
Veracruz pour être vendu à l’exportation.

De notre côté nous quittons la communauté Esmeralda pour l’entrepôt de San
Pedro Polhó. Nous y retrouvons le comité exécutif de la coopérative. Ils
cassent des cailloux, à grands coups de masse, pour ériger un mur de
soutènement. Une image bien différente de celle que nous avons des
fonctions de président, secrétaire et trésorier.

Yach’il Xojobal Ch’ulchan, une coopérative zapatiste

En 1998-1999 les caféiculteurs zapatistes de Pantelhó, Cancuc et Chilon se
sont retrouvés pour discuter des possibilités leur permettant de ne plus
vendre leur café aux coyotes et d’obtenir un meilleur prix. La résistance
au système néolibéral consiste, dans ce cas, à créer une organisation
dépendant le moins possible des lois du marché. La coopérative Yachil
Xojobal Chulchan s’est constituée officiellement en 2001. Elle a expédié
son premier demi-conteneur aux États-Unis en 2002. En 2011, la coopérative
regroupe huit municipios des Altos et produit plus de 200 tonnes de café.
L’ensemble du café commercialisé est destiné à l’exportation. Il est
acheté par des groupes européens et états-uniens solidaires du mouvement
zapatiste.

Le prix du café est fixé tout d’abord en prenant l’avis des différents
caféiculteurs qui définissent un montant qui leur paraît juste. Ce prix
est alors proposé aux acheteurs qui ont des conditions différentes en
fonction des groupes. Il n’y a donc pas un prix unique pour tous les
acheteurs.

Une première partie du café acheté est payée en janvier. Ce versement par
anticipation permet de payer les caféiculteurs dès la récolte. Le solde de
la commande est versé en avril, lorsque la récolte est terminée et tous
les frais identifiés.

Au sein de Yachil Xojobal Chulchan, chaque producteur est payé en fonction
de la quantité de café livrée à la coopérative. Afin de ne pas tomber dans
le piège de la monoculture, les caféiculteurs continuent de réserver une
partie de leurs terres pour cultiver la milpa. L’argent du café est
utilisé pour l’achat de biens qu’ils ne peuvent pas produire.

Par ailleurs, certains groupes d’acheteurs reversent les bénéfices générés
par la vente du café aux cinq conseils de bon gouvernement du territoire
zapatiste. Ils participent ainsi au financement de la construction de
l’autonomie y compris dans les zones non productrices de café. Au-delà de
la recherche d’un prix plus juste pour les producteurs, la solidarité
s’affirme également en reversant aux zapatistes ce qui leur appartient.

La coopérative Yachil Xojobal Chulchan a été fondée par des indigènes
tseltal et tsotsil : Elle fonctionne suivant leur mode d’organisation
traditionnel. La direction est assurée par quarante-cinq personnes
réparties en comité exécutif, comité de vigilance, commission technique,
commercialisation, contrôle de qualité, commission d’admission de nouveaux
membres.

Le comité exécutif a pour mission de coordonner l’ensemble des commissions
et d’assurer le bon fonctionnement de la coopérative. Le comité de
vigilance a pour mission de surveiller le comité exécutif ainsi que
l’ensemble des commissions sur l’utilisation de l’argent et le travail
réalisé. Aucune des quarante-cinq personnes de la direction n’est
rémunérée pour ces activités. Pourtant cette charge est assurée bien
souvent au détriment de leur propre plantation de café. Tous les deux ans,
une nouvelle direction est désignée lors de l’assemblée générale des
caféiculteurs. Cette rotation au sein de la coopérative permet de répartir
dans le temps la charge de direction entre tous. Une autre de ses vertus
est d’éviter l’accaparement des postes de pouvoir par un petit nombre de
personnes. Cela dit, se retrouver au comité exécutif et devoir casser des
cailloux devrait également limiter les envies de s’assoupir sur le
fauteuil de président.

P y V
Chiapas, Mexique,
décembre 2011.

(1) Le territoire zapatiste est administré par cinq Caracoles.
Caracol I "Madre de los Caracoles del Mar de Nuestros Sueños" La Realidad
Caracol II "Resistencia y Rebeldia por la Humanidad" Oventik
Caracol III "Resistencia hacia un Nuevo Amanecer" La Garrucha
Caracol IV "Torbellino de Nuestras Palabras" Morelia
Caracol V "El Caracol que Habla para Todos" Roberto Barrios

(2) Entités administratives regroupant plusieurs communautés.

(3) Plantations de caféiers.

(4) Acheteurs de café pour le compte des agro-industriels.

(5) Ces terres sont reconnues comme propriété collective de la communauté
depuis des temps immémoriaux. Elles ne peuvent pas se vendre et sont
divisées en parcelles entre les membres de la communauté.

(6) Usine qui enlève la dernière peau aux grains de café et les trie en
fonctions de leur taille.

(7) Terre cultivée pour l’autoconsommation, essentiellement du maïs et des
haricots.

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