Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques

Espace adhérents

Discours d’Angela Davis, Bandung du Nord, 4 mai 2018, Saint-Denis

publiée le 16/05/2018 par CSIA-Nitassinan

Pour une Internationale Décoloniale...

For a Decolonial International...

Discours prononcé à l’occasion du Bandung du Nord, à Saint-Denis, du 4 au 6 mai 2018. En solidarité avec Leonard Peltier (militant de l’American Indian Movement (AIM), prisonnier politique sioux lakota/anishinabe dans sa 43e année d’incarcération aux Etats-Unis), les combats des peuples autochtones pour la Terre, et le peuple palestinien.

Conversation with Angela Davis during the Bandung du Nord, in Saint-Denis (France), from May 4th to May 6th 2018. In solidarity with Leonard Peltier (AIM activist, Sioux Lakota / Anishinabe political prisoner since 43 years in the USA), with Indigenous peoples struggles for Mother-Earth, and with the Palestinians.

"Merci, merci beaucoup. D’abord, je veux vous dire que la peinture ici, c’est de Leonard Peltier. Je veux dire que c’est un très grand plaisir d’être avec vous ici ce soir.

Je tiens à remercier le Réseau Décolonial International et plus particulièrement Houria Bouteldja et Ramon Grosfoguel pour leur invitation à participer à cette conférence historique, le Bandung du Nord, qui a pour but de créer une internationale décoloniale. Je suis très honorée de faire partie des intervenants de cette conférence et de participer aux réflexions sur la manière de tisser des relations de solidarité contre le racisme, la xénophobie, l’hétéropatriarcat, le colonialisme, le militarisme et les multiples menaces qui découlent du capitalisme mondial.

La conférence de 1955 qui s’est tenue à Bandung et qui a réuni des chefs d’état de pays d’Asie et d’Afrique, est toujours présente dans nos mémoires... Plus que tout, elle représente la promesse de solidarité internationale entre des personnes entre des victimes de la violence et des injustices liées à l’esclavage et au colonialisme. C’était une réunion de chefs d’état qui représentaient pour reprendre les mots de l’auteur noir américain Richard Wright les personnes méprisées, insultées, blessées, dépossédées, en somme les opprimés de la race humaine.

D’autres intellectuels et militants afro-américains ont essayé de participer à cette conférence notamment W.E.B. Du Bois et Paul Robson, mais dans les deux cas leur passeports avaient été invalidés par le gouvernement. Vu des Etats-Unis, Bandung représentait non seulement la promesse d’une solidarité antiraciste et anticoloniale mais également une attaque contre les politiques hégémoniques du mccarthisme qui menaçaient d’éliminer les voix anticapitalistes pro-socialistes et communistes de la sphère publique.

La conférence elle-même n’a peut-être pas produit les effets durables qu’il serait tentant de projeter rétrospectivement sur ce moment historique. Elle a donné naissance à un désir partagé de voir se développer des solidarités antiracistes internationales dans ce qui était connu comme le Tiers-monde et que l’on appelle maintenant « Sud global ». Cette conférence de Bandung représente un moment historique au cours duquel des mouvements militants ont émergé appelant à mettre fin aux effets durables de l’esclavage et de la colonisation.

Aux Etats-Unis, le mouvement des droits civiques du milieu du 20ème siècle initié par le Montgomery Bus Boycott a eu lieu la même année que la conférence de Bandung en 1955. Ce mouvement est connu comme le deuxième mouvement abolitionniste puisqu’il cherchait à renverser les institutions suprémacistes blanches qui découlaient de l’esclavage. Ce qui n’avait pas été pris en compte immédiatement après l’abolition de l’esclavage était mis sur le devant de la scène au milieu du 20ème siècle.

Au même moment, en Afrique du Sud en août 1956, des femmes se mirent à combattre les multiples oppressions de l’apartheid notamment l’application aux femmes de la loi sur le laisser passer. Nous tenons à rappeler ce moment en faisant en entendre la voix de Lillian Ngoyi, Helen Joseph et de milliers d’autres : « Maintenant que vous vous en êtes pris aux femmes, vous avez frappé un rocher, vous l’avez mis en mouvement et vous serez écrasés ».

Plus d’un demi siècle plus tard, nous sommes réuni.e.s ici à Paris pour réfléchir aux stratégies de luttes décoloniales du 20ème siècle contre le racisme mondial tel qu’il est lié au capitalisme et à la misogynie qui découle à la fois des institutions capitalistes et des actions de nos camarades... Nous perpétuons nous-mêmes sans le vouloir bien souvent les mécanismes que nous cherchons justement à combattre...

Il est pertinent que cette conférence se tienne à Paris après l’élection de "quel est son nom déjà ?" (rires), en France, pays qui nous a offert de si belles phrases concernant la démocratie mais aussi certaines des formes les plus tenaces de racisme sous couvert de stratégies démocratiques, y compris les versions biaisées du sécularisme qui sont ancrées dans l’épistémologie judéo-chrétienne et qui produisent des formes d’islamophobie qui s’accompagnent de sexisme et misogynie.

Tandis que nous approchons la troisième décennie du 21ème siècle, le monde est en train de découvrir que le racisme anti-musulman recoupe et renforce les racisme anti-noir, anti-asiatique, anti-latino, et anti-indigène. Ce phénomène s’accompagne de l’expression d’un antisémitisme à l’instar de ce qu’il s’est passé lors des attaques de Charlottesville aux Etats-Unis.

La violence raciste matinée de misogynie est particulièrement dangereuse. Marielle Franco a été tuée au Brésil par des forces qui cherchent à freiner le mouvement vers l’égalité des races, des genres, des classes, et des sexes. Ces mêmes forces pensent que l’arrestation de Lula peut freiner l’histoire. Nous avons besoin d’une internationale décoloniale pour pouvoir travailler ensemble et faire que notre défense de la justice raciale, sexuelle, et économique, trouve un écho partout dans le monde.

Il y a plus de cinquante ans, très peu de femmes étaient présentes au Bandung. Nous savons maintenant que ne pas s’attaquer aux modes de dominations qui ont opprimé la moitié de la population sur Terre ne peut qu’exacerber, renforcer le racisme, le militarisme et l’exploitation capitaliste. Il ne peut y avoir de justice raciale, de paix, ou de justice économique, sans une justice des genres.

Aux Etats-Unis, nous avons appris l’importance de la solidarité avec les militants palestiniens qui, tandis qu’ils luttent contre l’occupation israélienne, ont contribué à créer une solidarité internationale avec les manifestants de Ferguson, Missouri, il y a 4 ans, qui ont mené au Black Lives Matter Movement. On ne peut penser la naissance de ce mouvement sans les Palestiniens.

A une époque où l’on croit que le racisme a pris fin avec l’élection d’un président noir, que les mouvements contre les violences racistes, le mouvement Black Lives, le mouvement pour les droits des migrants, le combat écologique pour notre planète mené avant tout par des peuples autochtones, ce n’est pas un accident de l’histoire. Cela tombe pile au moment où il est nécessaire de contester le fait que le cours de l’histoire soit en train de s’inverser.

Nous, qui dans le Nord, luttons contre la violence raciste, devons garantir que l’appel pour la justice en Palestine trouve un écho dans nos luttes et que le mouvement BDS rencontre le succès du boycott anti-apartheid des années 80.

Notre lien avec la Palestine nous a appris que tandis que nous exigeons l’abolition des prisons nous devons également abolir les nouvelles formes carcérales qui enferment notre quotidien. Notre lutte contre la violence policière ne peut être couronnée de succès si nous nous contentons d’exiger la poursuite en justice de policiers isolés.Nous devons remettre en question l’idée même que la sécurité de nos communautés puisse être entre les mains de la police, ou plutôt nous devons imaginer un monde dans lequel la police et l’incarcération ne sont plus les garants de notre sécurité.

Tandis que nous créons des réseaux de solidarité avec les luttes en Palestine, au Brésil, en Syrie, et en Turquie, nous cherchons à renforcer les liens entre les mouvements antiracistes et anticapitalistes du Nord. Le grand défi de notre époque est de rendre intelligibles les migrations telles quelles sont liées aux colonialités persistantes et au racisme qui en découle. Nous devons accueillir ceux que la guerre, la reconstruction économique capitaliste, la corruption néocoloniale ont poussé à quitter leurs maisons et à traverser des frontières en quête d’espaces plus habitables.

Un autre des grands défis de notre époque est de reconnaître que les problèmes actuels ne peuvent être résolus par les états-nations et que par conséquent la catégorie étroite et discriminante de "citoyenneté" n’est plus pertinente. Une approche décoloniale de l’internationalisme nécessite une nouvelle vision des relations mondiales qui décentre la nation et imagine de nouvelles possibilités pour un monde dans lequel l’état-nation n’est plus vue comme la forme de communauté la plus adaptée.

C’est maintenant à nous de modeler de nouvelles relations et de créer les nouvelles formes de solidarité au moment où nous luttons pour surmonter les vieilles relations. Merci beaucoup".

Angela Davis, militante africaine-américaine, antiraciste, féministe, ancienne membre des Black Panthers et professeure à l’Université de Californie.

Transcription : Aurélie Journée (CSIA-Nitassinan / Groupe de soutien à Leonard Peltier en France, affilié au ILPDC)


"I would like to thank the International Decolonial Network and specifically Houria Bouteldja and Ramon Grosfoguel for inviting me to participate in this historic conference Bandung du Nord which has as his announce goal of the creation of a decolonial international. I am honored to join all of these speakers and participants as you reflect on ways to generate relations of solidarity against racism, xenophobia, heropatriarchy, colonialism, militarism, and every present threats of global capitalism.

The Bandung Conference in 1955, made of heads of states from Asian and African countries, still looms large in our historical memory. More than anything else, it represents promesses of global solidarities among people who have suffered the violence and injustices of slavery and colonialism. It was a gathering of heads of states representing people who in the words of Black American writer’s Richard Wright were quoted as the despised, the insulted, the hurt, the dispossessed and showed as the under dogs of the human race.

Other Black American intellectuals and activists attempted to but in two cases passports were desauthorized by the government. From the vantage point of the US, the Bandung conference not only represented a promise of global antiracist and anticolonial solidarities but also a challenge to the hegemonic politics during the McCarthy area that threatened to eliminate the radical communist voices from the public sphere.

One may argue that the conference itself did not produce the lasting effects that one might want to project on retrospectively project onto that this historical moment. But at the same time, it produced a collective learning for global antiracist solidarities and what was known as the "Third-World", eventually came to be known as the global South. At the same time, the period of the Bandung conference represents this historical moment when activist movements were emerging to call for an end to the continuing effects of slavery and colonization.

In the United States, what we have come to refer to as the mid 20th century Civil Rights Movement that was inaugurated by the Montgomery Bus Boycott took place in the same year as the Bandung conference in 1955. This was what we now refer to as the second abolitionist movement. Since it was dedicated to the disestablishement of white supremacist institutions grounded in slavery, what failed to be taken up in the aftermath of the abolition of slavery had come to ahead by the middle of the 20th century.

At the same time in South Africa in August of the following year 1956 women rose up to protest the including the extension of the pass law to women. We mark this moment by remembering the proclamation of Lillian Ngoyi, Helen Rose Joseph, and thousands of others who said during that demonstration ; « now that you have touch the women, you have struck a rock, you have dislodged a boulder, and you will be crushed ».

And we also remember the life and contribution of Winnie Mandela. More than a half century later, we gather here in Paris to reflect on and strategies about a 21st century radical decolonial challenge to global racism intertwined as it is with capitalism, racial capitalism indeed, and with misogyny that emanate both from the institutions of capitalism and also from actions of heart and actions of comrades. We ourselves often perpetuate that, which we see ourselves to be dismantling.

It is appropriate, I think, that this conference is taking place in Paris, in France, after the elections of...what his name ? (laughts) and in the aftermaths of the election of Macron it is especially important to remember that France has simultaneously offered us the most beautiful slogans of democracy and some of the most enduring and most tenacious forms of racism under the guise of democratic strategies, including the biased notions of secularity that are clandestinely included in judeo-christian epistemology that produces forms of islamophobia that are articulated with sexism and misogyny.

And so as we approach the third decade of the 21st century, the world is discovering that empty muslim racism reinforces the anti-Black, the anti-Asian, the anti-Latino and the anti-Indigenous racisms. It helps to new expressions of antisemitism as it can be seen through the Charlottesville attack and recent displays of white suprematist violence.

Racist violence inflected with misogyny is specially dangerous. Marielle Franco life was claimed by forces in Brazil that want to further erase the movement to gender class and sexual equality. The same forces assumed that the arrest and imprisonment of Lula can arrest the movement of history. We need, we need a decolonial international so that we can join hands around the planet and that our defense of racial, gender, sexual, and economic justice can powerfully echo around the world.

More than a half century ago, more than a half century ago, very few women were present at Bandung. We now know that the failed to adress the most of subjufgation half the planet the the human population change. Racism, militarism, and capitalist exploitation there can be no that Racial Justice. There can be no peace, there can be no economic justice, unless we forthly we insist on gender justice.

This is not an historical accident. The movements against racist violence, the movement for black lives, the immigrant rights movement, the defense of the earth and its environment lead first and foremost by indigenous people, were reinvigorated precisely in time to dispute the assomption made by the president, president of the US (I can’t remember his name) that the historical clock needs to be turn forward and backward.

Struggles against institutionalized police violence in the US are related to similar struggles in Europe, in Australia, and indeed also in Latino America, in Africa, in Asia and in the Middle East. We, in the US, have indeed learned how to value the solidarity of Palestinian activists who tenaciously continue the struggle against the Israeli occupation, and help to spark an international solidarity for protesters in Ferguson Missouri some four years ago which in turn invigorated the Black Lives Matter movement. It is today difficult to imagine the rise of the Black Lives Matter movement without the assistance of the Palestinians.

We in the North who are committed to purging our societies of racial violence have to guarantee that the call for justice for Palestine echos through out our struggles and that the BDS movement achieves the status of the anti apartheid boycott in the 80s.

Our connexion with Palestine has told us that if we recall for abolition of prisons, we must also seek to abolish the shaping of our quotidian life by new forms of casuality. Our struggle against police violence we have learned can’t not be won simply by calling for the prosecution of individual police people but rather by questioning the questioning of the very possibility that the police can be entrusted with the security of our communities. We call for the freedom of Mumia Abu Jamal, of Leonard Peltier, of Georges Ibrahim Abdallah, we have learned to say « abolish the prison », « abolish the police », or rather imagine a world in which we no longer need to depend on the police and incarceration as the garant tool of security in our societies.

And so as we force solidarities for struggles in Palestine, in Brazil, in Syria, in Turquie, we also reflect on solidify connexions among antiracist, anticapitalist movements in the global North. The great challenge of our time is to render understandable the migrations of our area as linked to persisting colonialities and the result of racism of our time and to welcome those who have been displaced by war, by capitalist economic restructuring by near colonial corruption to leave their homes and to cross borders in search of a more habitable living space.

Another great challenge of this area is to recognize that the problem of our time exceed the capacity of the nation state to solve them. And that, and that we can no longer think in the narrow and discriminatory terms of documented citizenship. A decolonial approach to internationalism calls for a reconception of global connexions that precisely discenters the nation and imagines future possibilities of a planet in which the nation state is no longer regarded as the most appropriate form of human community.

It is there for up to us to model new relations and to create new forms of solidarity even as we struggle to overcome the old relations. Thank you very much".

Angela Davis, african-american activist, antiracist, feminist, and ex member of the Black Panthers, scholar at the University of California.

Transcription : Aurélie Journée (CSIA-Nitassinan / Groupe de soutien à Leonard Peltier en France, affiliated to the ILPDC)